PRIORITÉ N° 1 :
RÉGLER LEURS COMPTES AUX BAHUTU ?
Par F. RUDAKEMWA.
Introduction.
Quand en 1972 au Burundi, l'armée
gouvernementale et la jeunesse Louis Rwagasore (JLR)
formées exclusivement de Batutsi massacrèrent chaque
compatriote Muhutu sachant lire et écrire, ils
entendaient résoudre, une fois pour toutes, le problème hutu. Ils n'y sont pas
parvenus. La même armée récidivera le 21 octobre 1993 en assassinant lâchement
le président Melchior Ndadaye d'heureuse mémoire,
démocratiquement élu quatre mois auparavant, avec une quinzaine de ses proches
collaborateurs.
Pas plus qu'en 1972, l'armée burundaise
n'a pas réussi en 1993 à en finir une fois pour toutes avec le problème hutu.
En 1994 au Rwanda, les miliciens Interahamwe
voulaient donner une « solution finale » au problème tutsi. Ils n'y
sont pas parvenus. Il y a dans le Rwanda actuel des indices sérieux qui font
penser que le régime de Kigali voudrait non seulement restaurer la féodalité
d'avant novembre 1959, mais aussi et surtout régler une fois pour toutes le
problème hutu en vue d'une espèce de "troisième Reich millénaire".
Est-ce qu'il y parviendra ? Jusqu'aujourd'
hui, les moyens auxquels il recourt
sont : la diabolisation, la terreur, la brutalité, la paupérisation
extrême et l'étouffement dans l'œuf de toute tentative d'émerger de la part
d'un membre du groupe visé.
Le peuple rwandais comprend trois
groupes ethniques : les Bahutu, les Batutsi et les Batwa. Il est
généralement admis que les Bahutu constituent 85% de
la population, les Batutsi 14% et les Batwa 1%. Même en admettant de larges marges d'erreur, les Bahutu ne pourraient pas être moins de 80%, les Batutsi ne pourraient atteindre le seuil des 20%, ni les Batwa celui des 2%.
Le génocide de 1994 au Rwanda a
été perpétré par des miliciens majoritairement Bahutu,
mais ce ne sont pas tous les Bahutu qui se sont
rendus coupables du crime de génocide comme voudraient l'accréditer la
propagande, l'idéologie et la justice officielles actuellement en cours au
Rwanda. Si tous les Bahutu s'étaient levés comme un
seul homme et s'étaient mis tous ensemble à « génocider »
les Batutsi, de ces derniers, pas un seul n'aurait
survécu. Le résultat aurait été le même si la seule moitié des Bahutu s'était livrée aux massacres que la communauté
internationale a qualifiés à juste titre de génocide.
Aujourd'hui, les prisons
« connues » du Rwanda abritent 120.000 Bahutu
accusés de génocide. Quand ils entrèrent en fonction, les tribunaux d'exception
« Gacaca » se proposaient de juger 800.000
personnes pour le même crime. Le total de ces « génocidaires »
s'élèverait alors à 920.000 personnes, auxquels viendraient s'ajouter ceux qui
sont détenus dans les prisons et les cachots secrets et privés, ainsi que
les 44.000 autres qui, au dire du gouvernement de Kigali, sont en cavale
partout dans le monde et qu'une commission « ad hoc » créée le 14
novembre 2007 doit traquer par tous les moyens et ramener au pays morts ou
vifs. Si un contingent aussi nourri, avec tout le temps libre dont il disposait
pour sa sale besogne (100 jours : du 6 avril au 4 juillet 1994), s'était
mis à l'œuvre, aucun Mututsi ne serait resté en vie.
Il y a eu le génocide des Juifs perpétré
par les Nazis ; mais on n'a jamais entendu que tous les Allemands soient
des génocidaires. Pourquoi est-ce que tous les Bahutu
devraient l'être ? Est-il possible qu'il y ait plus de génocidaires au
Rwanda, où les victimes se chiffrent à moins d'un million, que chez les Nazis
où le nombre des victimes dépasse de loin les six millions ?
« Il (le FPR) ne gouverne pas,
il terrorise et soumet tout un peuple, pour la plupart d'humbles paysans »
(Desouter S., Rwanda : le procès du FPR. Mise au point historique, col. « Points de
Vue Concrets », L'Harmattan, Paris, 2007, p.
22). L'omniprésence des militaires, des policiers et des agents des services de
renseignement, leurs interférences dans tous les secteurs de la vie publique et
privée, les lynchages médiatiques, tout cela fait que tout le monde vive dans
la peur et que plus personne n'ait plus confiance en personne. Les enlèvements,
les assassinats politiques, les discours idéologico-propagand
istes, les emprisonnements arbitraires maintiennent
la population dans un état permanent de terreur. « De longues années
vécues dans la terreur, dit Jean Mbanda,
développent chez certains individus des mécanismes de défense pouvant les
conduire, au nom de la survie, à poser des actes désavoués silencieusement par
leur conscience » (Voir Jean Mbanda, Lettre
ouverte aux dirigeants des familles politiques FPR, MDR, PDC, PDU,
PSD, PSR, UDPR, Kigali, le 05.05.2000 ).
3. La brutalité.
Le propre d'une organisation terroriste,
c'est tuer. La période de la guerre et de l'immédiat
après-guerre ont fourni au FPR diverses occasions de massacrer des millions
d'innocents : individus, familles entières, groupes de personnes invitées
à des réunions-pièges, déplacés et réfugiés tués dans
des opérations meurtrières de destructions des camps. Aujourd'hui, les prisons
rwandaises ne sont pas de simples antichambres de la mort. Ce sont de
véritables mouroirs. Le seul fait d'entasser tant de monde dans un espace
réduit constitue un acte de torture physique, psychologique et morale. Beaucoup
meurent de maladies dues à cette promiscuité ; d'autres en sortent avec des
séquelles invalidantes qui entraînent la mort en très peu de temps (Voir
Gaspard Musabyimana, A
l'intérieur des prisons du Rwanda, www.musabyimana. be, 25 septembre 2007).
Je n'oublierai jamais le cas de Monsieur
A.K qui était détenu à la prison de Cyangugu. Il tomba gravement malade. Pendant de longs mois,
les siens sollicitèrent la faveur de pouvoir aller le faire soigner en dehors
de la prison, avec la promesse de le rapporter en prison une fois qu'il serait
guéri. Peine perdue. Ils n'ont pas obtenu cette faveur. La direction de la
prison leur a plutôt livré son cadavre en les sommant d'aller le retirer le
plus tôt possible, sans quoi les autorités pénitentiaires menaçaient de
pourvoir elles-mêmes à son enterrement. Le corps sans vie du pauvre homme
n'entrait même pas dans le cercueil que ses familiers venaient de confectionner
à la hâte. C'était peine et misère que de les voir chercher à résoudre le
problème en retirant du cercueil quelque maigre rembourrage qu'ils y avaient
mis auparavant.
Je n'oublierai pas non plus le calvaire
de Monsieur A.N et de sa famille. Il était
malade. Au lit, il se recroquevillait comme un fœtus dans le sein de sa mère.
Plus tard, j'ai appris qu'il avait séjourné en prison, et c'est là qu'il avait
attrapé une étrange maladie qui l'avait réduit à un état larvaire. Une fois
sûrs qu'il ne guérirait pas, ses geôliers l'ont remis en liberté pour qu'il
aille crever à la maison.
4. Les affamer.
L'usage de la faim comme arme de destruction de masse est aussi
vieux que la guerre elle-même, dont beaucoup pensent qu'elle est le plus vieux
métier du monde au même titre que la prostitution. Assiéger les cités, comme
faisaient les armées dans l'Antiquité et au Moyen Age, n'était autre chose que
contraindre leurs habitants à choisir entre « capituler ou mourir de
faim ». En 1932-1933, pour réduire les nationalistes ukrainiens,
Staline n'a trouvé mieux que d'affamer toute l'Ukraine alors membre et grenier
de l'ex Union Soviétique. Le bilan des victimes fut de 10 millions de morts.
Les Nazis de Hitler ont recouru eux-mêmes à la faim pour éliminer beaucoup de
leurs prisonniers.
Pendant la guerre et l'immédiat après-guerre au Rwanda, on a vu
les forces de l'ordre empêcher l'approvisionnement en vivres et en eau potable de nombreux camps de déplacés et de réfugiés. La
« diète noire » était en vigueur dans les cachots secrets, et
plusieurs détenus y moururent de faim. Aujourd'hui encore, « périodiquement,
les militaires ferment des vannes des tuyaux d'eau menant à la prison. Pendant
2 à 3 jours, la prison est sans eau. Les toilettes se remplissent, les
excréments de ces milliers de personnes débordent dans la cour où sont entassés
les prisonniers. Ils se vautrent dans ce mélange merdeux… Les plus fragiles
tombent malades et souvent la mort suit. Le Rwanda est pauvre. Il ne peut pas
nourrir ces milliers de personnes en détention. Les membres de leurs familles
leur viennent au secours. Ils leur apportent à manger. Toute la nourriture est
versée dans un grand tonneau rouillé. Avec un long bâton, un militaire la
tourne sens dessus dessous ``à la recherche de grenades'' ou autre
matériel prohibé. Un de mes interlocuteurs m'a dit avoir appris que ce bâton
serait imbibé d'une solution de plomb et qu'à la longue ce produit serait
hautement cancérigène » (Gaspard Musabyimana,
Ibid).
Emprisonner un homme ou une femme en âge de travailler, c'est
frapper, affamer triplement sa famille. D'abord, elle perd les entrées que le
travail du prévenu générait ; ensuite, elle doit lui porter à manger pour qu'il
ne meure pas de faim en prison. Un autre membre de la famille en âge de
travailler doit nécessairement arrêter ses propres activités pour aller
chercher les vivres, les préparer et les porter au lieu de détention distant
parfois de centaines de kilomètres de la résidence familiale. C'est pour cela
que depuis 1994 au Rwanda, le monde rural vit dans un état permanent de disette
et que plusieurs familles sont tombées de la pauvreté à la misère.
Depuis 1994 en effet, le régime du FPR dépense plus pour des
services publics préalablement épurés d'éléments Bahutu
que pour le développement rural. Ainsi, l'exercice budgétaire 2008 par exemple
prévoit la somme colossale de 23,66milliards de Frws
pour l'armée dont les officiers sont à 99.99% des Batutsi ;
6,9 milliards pour le ministère de la sécurité intérieure. La cour suprême avec
ses prestigieux magistrats est dotée de 3,4 milliards pour le poste
« salaires », le Parquet Général de 1,16 milliards et le
Parlement/Chambre des députés de 1,6. Le ministère de l'agriculture, élevage et
forêts (Minagri) doit se contenter de 0,16 milliards
pour le paiement de ses agents (Voir Gaspard Musabyimana,
Le beau monde ultralibéral se taille la `lion share'
dans le budget 2008, www.musabyimana.
be, 5 novembre
2007). Cette répartition est un scandale dans un pays comme le Rwanda où plus
de 90% de la population vivent d'une agriculture de subsistance, la plupart
d'entre eux étant des Bahutu. Elle s'expliquerait par
le fait que le parti au pouvoir ne dispose pas de base sociale à la campagne.
Aux prises avec les problèmes de la survie quotidienne, ces paysans de Bahutu n'auront pas le temps d'aller penser à la politique.
Il faut donc les affamer et, au besoin, les spolier de leurs terres pour se
créer des latifundias (Voir Gaspard Musabyimana, Au Rwanda les paysans sont spoliés de leurs terres, www.musabyimana. be, 02.08.2007).
5. Les empêcher d'émerger.
a)
Politiquement.
Pour couvrir d'un semblant de légalité son opposition à
l'émergence d'un leader politique de l'ethnie des Bahutu
ou d'un Mututsi anticonformiste, le FPR a mis sur
pied un instrument de dissuasion, de censure et de répression appelé
« Forum de concertation des formations politiques » institutionnalisé par
la constitution de 2003 (Voir Jean Mbanda, Lettre
ouverte aux « dirigeants » des familles politiques FPR, MDR, PDC, PDU,
PSD, PSR, UDPR, Kigali, le 05 mai 2000 ; Filip
REYNTJENS., Analyse juridico-politique de la
constitution rwandaise de 2003, in Rwanda : des réformes… et après ?
Dialogue n° 234, mai-juin 2004, Bruxelles, pp. 3 –
28 ; F. Rudakemwa, Rwanda, À la recherche
de la vérité historique pour une réconciliation nationale, L'Harmattan,
Paris, 2007, pp. 151-153).
C'est dans le cadre des travaux de ce forum que le parti
historique MDR a été supprimé la veille des élections législatives et
présidentielles d'août 2003. Son leader, Faustin Twagiramungu,
s'est alors présenté en outsider. Beaucoup de présidents et d'assesseurs des
bureaux de votes, ainsi que d'autres personnes ayant participé au décompte des
voix m'ont assuré que, malgré les obstacles qu'il a rencontrés lors de ses
tournées de campagne, c'est en fait lui qui a gagné les élections
présidentielles du 26 août 2003. Toujours pour étouffer dans l'œuf toute
tentative d'émerger de la part d'un membre du groupe visé, le FPR épure
l'appareil judiciaire et l'utilise comme instrument de répression politique.
b)
Socio-économiquement.
Fidèles à leur principe de base, les
« Gacaca » ont jusqu'ici jugé 700.000 personnes. « Comment, à moins de deux ans,
des enquêtes fouillées peuvent-elles être menées pour déterminer la culpabilité
d'un aussi grand nombre de prévenus ? » C'est très simple : « Il
a été fait recours aux membres de la Local Defence
qui quadrillent le territoire. Ils ont recensé, dans leurs ressorts respectifs,
des hommes et des femmes encore valides, des leaders d'opinion, des
intellectuels (enseignants, agronomes, infirmiers,…) et les noms ont été
envoyés à Kigali où tout est centralisé » (Gaspard Musabyimana,
Haro sur les tribunaux Gacaca,
Ibid, 19.7.2007). La
section des Renseignements militaires, commanditaire de ce recensement, fait
tout le reste. Ils sont très peu nombreux les prévenus qui écopent d'une peine
inférieure à 30 ans de prison. Autant dire qu'ils n'en sortiront pas vivants. C'est par le même procédé que sont
épurés les professions
libérales, le commerce, l'économie, les entreprises, et même les ONG (Voir, à
titre d'exemple, la
purge du personnel médical des hôpitaux « Universitaire » de Butare et « Roi Fayçal » de Kigali in XXX, Parodie de justice à Butare : Juridictions Gacaca
et dérapages du système judiciaire au Rwanda, Butare,
Septembre 2007).
c)
Culturellement.
Le monde rural ne cesse de s'enfoncer
dans la misère. Or, « ventre affamé n'a pas d'oreilles ». Si,
malgré cette surdité due à la faim, les écoliers issus de ce monde parviennent
au secondaire, leurs familles ne seront pas à même de leur payer les études.
Des tensions proviendront du fait qu'à l'école secondaire, les rescapés du
génocide ne paient ni le minerval, ni les frais d'assurance, ni l'uniforme
scolaire, ni la mutuelle de santé, ni les matelas sur lesquels ils dorment. Ils
sont tous de l'ethnie des Batutsi. Les orphelins de
guerre, les rescapés des massacres opérés par le FPR doivent payer tous ces
frais. Ils sont tous de l'ethnie des Bahutu. Le
nombre de ces derniers diminuera nécessairement. Il diminuera encore davantage
à l'université suite à la décision récemment prise par le gouvernement rwandais
de ne plus octroyer de bourses d'études ni à titre gracieux, ni sous forme de
prêt comme cela se faisait jusqu'aujourd' hui. Seul
un naïf croirait que cette mesure frappera tout le monde de la même manière. Le
nombre et les privilèges des rescapés du génocide seront revus à la hausse,
tandis que les autres étudiants Batutsi seront à
charge de leurs congénères qui puiseront à pleines mains dans les caisses de
l'État. Il se produira alors au Rwanda une situation semblable à celle
qui y prévalait avant 1959 ou à celle qui régnait au Burundi de 1962 à
1993 : les écoliers Bahutu étaient majoritaires
au primaire, minoritaires au secondaire, en nombre insignifiant à l'université.
Conclusion.
Quiconque s'intéresse peu ou prou à
l'Histoire universelle sait que l'engagement de ces hommes et femmes
frustrés de leurs droits les plus légitimes et refoulés dans la nature par les
pouvoirs en place a été à la base de toutes les révolutions (française, russe,
rwandaise, etc.). Le Rwanda serait-il donc à l'avant-veille d'un nouvel
embrasement ? A chacun de dire ce qu'il en pense et de proposer les voies
et moyens adéquats pour éviter le pire au beau des pays Mille et Une Collines.
Rome (Italie) le 9/12/2007
http://www.musabyim ana.be.
Soma inyandiko ya Déo Mushayidi.