Génocide
et Démocratie au Rwanda
Tentative de
réponse à Michel Bandora[1][1]
Michel Bandora nous a proposé un
débat intéressant. Un débat qui se place au-dessus des noms d’oiseaux que
certains ont pris l’habitude de s’échanger à longueur de journée par internet interposé. Des discussions du genre : Vous nous
avez « génocidés » ! Et pour toute
réplique : Vous aussi ! Un véritable dialogue de sourds où prédomine
souvent la mauvaise foi. Les Tutsi seraient des menteurs impénitents quand les
Hutu ne seraient que des naïfs sans la moindre arrière pensée ! Bref des
inepties et des insanités d’une bassesse d’esprit absolument désolante.
Le thème « Génocide et Démocratie » aura retenu mon
attention. Il mérite, à mon humble avis, qu’on lui consacre un peu plus de
temps, car il résume à lui tout seul toute la problématique sociopolitique dans
notre pays voire dans la région martyre des Grands Lacs. Noel
Twagiramungu[2][2] écrivait récemment que « le concept de
<génocide> était devenu synonyme du Rwanda par la force des
choses ». Je tâcherai donc de me limiter au Rwanda afin de respecter le
cadre tracé par Michel Bandora.
1959 : une révolution manquée
Ceci risque d’en blesser plus d’un. Mais on ne saurait
affirmer le succès de la révolution de 1959 sans se voir aussitôt démentir par
les événements. Qu’une monarchie à dominante tutsi et qui avait longtemps fait
le jeu du colonisateur ait fini par lasser les élites naissantes et
progressistes du pays, cela est un fait indéniable. Que, puissamment encadrées
par l’Eglise catholique, des leaders Hutu essentiellement, se soient appuyés
sur des masses populaires majoritairement Hutu, et qu’ils aient bénéficié de la
volte face de la Tutelle belge dans sa relation difficile avec une dynastie en
déclin, c’est également incontestable. Que l’attitude intransigeante du Mwami[3][3] Mutara III Rudahigwa[4][4] et de son entourage ait contribué à la radicalisation de
l’opposition notamment le Parmehutu[5][5] de Dominique Mbonyumutwa et
Grégoire Kayibanda[6][6] ainsi que l’Aprosoma[7][7] de Joseph Gitera, cela relève de
l’évidence. Qu’une opposition centriste essentiellement constituée du Rader[8][8] ait échoué à s’interposer efficacement entre les deux
blocs ennemis à savoir l’Unar et le Parmehutu, cela est regrettable. Que la mort inopinée et
jusqu’ici non élucidée du Mwami en 1959 à Bujumbura
ait constitué un tournant décisif dans les changements sociopolitiques en cours
dans le Rwanda d’alors, tout le monde en conviendra.
La disparition du Mwami aura
incontestablement déstabilisé une situation politique déjà tendue et le pays
allait de plus en plus sombrer dans des dérapages plus ou moins contrôlés et
manipulés par la puissance tutélaire, le véritable maître du pays. Ce qui se
voulait au départ comme un combat démocratique et républicain se mua très
rapidement en un conflit intra rwandais particulièrement fratricide. Ainsi la
révolution échappait-elle au peuple au nom duquel elle était pourtant censée
être menée. Jean Paul Harroy[9][9] lui-même le confirmera dans un livre consacré au Rwanda en
évoquant une « révolution sous tutelle » ou « assistée ».
Guerre de propagande, diabolisation réciproque
Pendant cette période, les
propagandistes républicains font face à leurs homologues monarchistes dans une
diabolisation mutuelle aux conséquences tragiques. D’un côté, il y eut des
« communistes », des « athées » et des
« infidèles » et de l’autre, des « ennemis du Mwami » et forcément de la Nation.
Aux éliminations politiques plus
ou moins ciblées de l’Unar, répond le Parmehutu par des massacres « populaires » avec pour
résultat les premiers pogroms tutsi. Ces massacres ponctués d’incendies
sauvages donnent lieu à l’exil de milliers de Tutsi et de Hutu attachés à la
monarchie. Une telle situation laisse évidemment se développer la haine, les
frustrations et la rancœur, le tout s’accompagnant d’un réel désir de vengeance
qui s’installe dans les esprits tant du côté des anciens opprimés que de celui
des anciens dominateurs. Tandis que les uns célèbrent la victoire républicaine
sur la « féodalité », les autres ne jurent que par la restauration
prochaine de la monarchie au pays de leurs ancêtres. Dans ce contexte d’une
lutte au finish, c’est la tentation génocidaire qui s’installe et à laquelle
les Rwandais finiront par succomber.
A cet égard, le discours prémonitoire[10][10] du Président Kayibanda en 1964 était hautement
significatif : « A supposer
par impossible que vous veniez à prendre Kigali d’assaut, comment mesurer le
chaos dont vous seriez les premières victimes ? Je n’insiste pas : vous le devinez,
sinon vous n’agiriez pas en séides et en desserts ! Vous le dites entre vous :
‘Ce serait la fin totale et précipitée de la race tutsi’. Qui est génocide ? ».
De leur exil dans les pays
limitrophes, les réfugiés multiplient effectivement des incursions armées
contre leur pays. Celles-ci se soldent toujours par de nombreuses victimes dans
les rangs des Tutsi restés au pays, le plus souvent réduits à l’état de
citoyens de seconde zone.
Le Président Grégoire Kayibanda est ainsi placé face à une situation délicate où
il a à gérer l’héritage révolutionnaire pour le transformer en un succès
politique durable tout en consolidant les jeunes institutions républicaines et
démocratiques du pays. Mais le Président lui-même devient vite un monarque
républicain surtout après que son tout puissant parti le Parmehutu
ait avalé ses anciens concurrents sans autre forme de procès. Car dès 1966, on
passe carrément au parti unique.
Toute politique de réconciliation
nationale authentique aurait dû passer par le retour et l’intégration
sociopolitique des réfugiés. Or, rien de tel ne se produisit. Au contraire, les
tentatives de retour armé de la part des Inyenzi[11][11] pousseront la première république à rester sur la défensive. La lutte
contre les « Inyenzi » devient ainsi une
hantise pour les nouvelles autorités qui la considèrent comme la priorité
absolue et la raison d’être de la République.
Les seules incursions des « Inyenzi » expliqueraient-elles l’échec d’un
rassemblement du peuple au lendemain d’une période révolutionnaire
particulièrement douloureuse ? Fort de ses incontestables succès
électoraux, le nouveau régime ne semble pas pressé à réunir le peuple du Rwanda
dispersé. La 1ère république
essaiera certes d’injecter des cadres
Tutsi dans le pouvoir mais le Parmehutu étouffe
rapidement tous les espaces de parole en devenant un Etat dans l’Etat. En 1963,
Grégoire Kayibanda n’hésite pas à faire éliminer les
membres Tutsi ou supposés tels de son Gouvernement, seuls opposants à son
régime parmi lesquels on peut citer Rwagasana et Rutsindintwarane.[12][12]
1973 : une unité nationale en trompe l’œil
Les attaques des « Inyenzi »
s’arrêtent définitivement avec l’année 1967. Mais fatigué et en proie à ses
propres contradictions, le régime Kayibanda est à son
agonie. Bras droit du Président dont il est le Ministre de la défense, le
Général Major Juvénal Habyarimana dépose le civil Kayibanda
suite au coup d’état du 05/07/1973. Il proclame solennellement une ère de paix,
d’unité nationale et de développement. S’il remporte des succès incontestables
sur le front du développement, le régime Habyarimana donne des solutions
artificielles aux conflits d’ordre ethnique et régional qui minent profondément
le pays. C’est ce qui aboutit à une unité nationale de façade où l’introduction
du travail communautaire(Umuganda)
et de l’animation politique(véritable culte au Chef qui se veut le père de la
Nation) font croire au règne de l’harmonie.
On l’aura compris : ce n’est pas la démocratie qui
contraignit les milliers de Tutsi à l’exil. Ce n’est pas par attachement aux
principes démocratiques que Kayibanda élimine Rutsindintwarane et Rwagasana. Ce
n’est pas la démocratie qui opéra le coup d’état du 05 juillet 1973 et qui
élimina de nombreux dignitaires de la première république. Non, ce n’est pas
par fidélité aux vertus démocratiques que fut créé le MRND[13][13] en 1975. Et ce n’est pas pour promouvoir la démocratie que
la politique des quotas dite d’équilibre ethnique et régional fut instituée. Il
y avait pourtant des inégalités réelles qu’il fallait corriger. Mais pourquoi
des « solutions » décrétées ?
1981-1982 :
une occasion ratée
Lorsqu’en 1981-1982, le Président Milton Obote expulse les
réfugiés rwandais d’Ouganda, les autorités rwandaises les refoulent aux
frontières au lieu de saisir cette opportunité et régler définitivement ce
problème. Désespérés, certaines vieilles personnes se suicident quand, par
milliers, les plus jeunes rejoignent Yoweri Museveni encore dans le maquis. Lorsqu’en 1986 la NRA[14][14] marche victorieusement sur Kampala, les réfugiés Rwandais
croient entrevoir de nouvelles possibilités. Reconnaissant leurs mérites, Museveni leur rendra l’ascenseur sous des formes multiples.
Ils sont désormais déterminés à rentrer au bercail, au besoin par la force des
armes.
01 Octobre 1990 : solution finale déjà en perspective
L’offensive des rebelles du FPR
constitue le révélateur d’un terrible échec politique pour le Rwanda. Certains
se complaisent à en rendre responsables les réfugiés eux-mêmes quand les autres
ne veulent y voir que l’incompétence des régimes Hutu successifs. Il faut
évidemment souligner l’importance du facteur conjoncturel que constitue le
conflit d’intérêts entre les camps francophone et anglo-saxon et qui va attiser
cette guerre. Mais on doit souligner que ces intérêts occidentaux s’incrustent
toujours sur des réalités qui restent bien du ressort de notre responsabilité.
Oui il y avait des réfugiés rwandais qui voulaient retrouver leur patrie et ils
en avaient parfaitement le droit. Pour diverses raisons, l’Etat rwandais avait
échoué à trouver une solution satisfaisante à cet épineux problème. L’Union africaine(OUA à l’époque) et
l’ONU avaient failli à leur devoir. La Belgique et la France qui auraient pu
influencer positivement cette situation en avaient manqué la volonté.
De son côté, Kigali avait trop
misé sur sa fragile alliance avec l’Ouganda de Museveni.
Aujourd’hui plus qu’hier, on peut comprendre que ce dernier ne pouvait, sans
compromettre son propre avenir politique, se permettre de retenir plus
longtemps ces milliers de Rwandais dans les rangs de son armée. Il les aura
donc lâchés dans la nature et ils ont entrepris de « libérer » leur
propre pays. Deux événements jusque-là non élucidés vont toutefois bouleverser
toutes les cartes : c’est le décès inopiné du Commandant Fred Rwigema[15][15] et l’ascension fulgurante de Paul Kagame[16][16] qui, dare-dare, quitte les Etats-Unis où il effectuait un stage
militaire. En remplacement de Fred Rwigema, Kagame le stratège est alors installé à la tête d’une
rébellion au bord de la défaite.
1994 : un génocide annoncé et diversement exploité
Tantôt nié tantôt exacerbé mais toujours aussi
instrumentalisé, le contentieux « Hutu-Tutsi » est
une réalité politique incontournable dans notre pays. Ayant tenté d’occulter ce
problème, le régime FPR est de plus en plus empêtré dans ses propres
contradictions. Comment, en effet, conjuguer la prétention de l’inexistence des
ethnies au Rwanda et l’exploitation cynique et éhontée du génocide des
Tutsi ? Comment peut-on nier ou occulter les réalités ethniques au Rwanda
tout en étant en mesure de fournir un décompte arithmétique précis de Hutu et
de Tutsi membres du Gouvernement comme le faisait récemment le Ministre Charles
Murigande face au Quotidien suisse romand « Le
Temps »[17][17] ?
Démocratie n’est pas synonyme d’élections
Nous sommes à Genève en mai 1994, et c’est en tant que
représentant du FPR que je fais face à un émissaire du Gouvernement Sindikubwabo/Kambanda devant un
auditoire composé de quelques dizaines de rwandais, de citoyens suisses et de
plusieurs fonctionnaires des Nations Unies. A chacune de mes interventions, mon
interlocuteur m’interrompt sans cesse en criant à tue-tête :
« élections, élections, élections tout de suite » !
En guise de réplique, je lui demande alors si lui-même et
son Gouvernement seraient d’accord pour que les voix des morts soient prises en
compte. Devrais-je rappeler qu’à l’époque le CICR avançait déjà un bilan très
lourd faisant état de centaines de milliers de personnes massacrées.
2003 : des élections aux résultats fort révélateurs
Si l’on doit se fier aux résultats officiels, le FPR et ses
candidats auront brillamment remporté ces élections, démentant ainsi les
prévisions pessimistes des experts du Rwanda, comme le proclamera fièrement et
dans toutes les langues, un Paul Kagame
particulièrement ému le jour de son investiture. Voilà donc que pour la
comédie, le décor est planté. Mais en privé, personne ne croit à ces résultats.
Ni les élus ni les électeurs ni les observateurs. Après tout, il ne s’agissait
pas d’élections dans le sens habituel du terme. Il ne faut pas oublier qu’il y
a eu génocide dans ce petit pays, se dédouanent des occidentaux d’habitude
prompts à critiquer. Pour le reste un Tonton belge[18][18] se charge de mettre un peu d’ordre dans le contingent
d’observateurs de la Commission européenne qui persistaient à faire état de
constats gênants.
N’ayez pas peur de prononcer des paroles et de poser des
gestes qui libèrent !
Il est urgentissime de libérer les jeunes générations
rwandaises du joug sous lequel elles ploient du fait des pesanteurs
politiciennes liées aux « solidarités » négatives d’ordre ethnique
et/ou régional. Il n’est pas sain qu’un « munyanduga »[19][19] ne se sente pas à l’aise de porter un regard critique sur
le régime Kayibanda. Il n’est pas normal qu’un
« mukiga »[20][20] se sente interdit de critiquer la gouvernance de Juvénal
Habyarimana. Elle n’est pas admissible cette règle non écrite qui voudrait
qu’un Tutsi se garde de toute critique sur Kagame et
le FPR. Ne confondons pas les genres : nos
partis politiques ne sont pas des confessions religieuses et nos chefs ne sont
pas infaillibles.
Qu’il soit permis d’insister. Ce n’et pas la démocratie que
fuient ces anciens ministres, députés, diplomates ou officiers de l’armée
gouvernementale, ces journalistes et autres activistes des droits de l’homme.
Ce n’est pas la démocratie qui a fait assassiner Théoneste
Lizinde et Seth Sendashonga[21][21] dans leur exil au Kenya. Ce n’est pas elle qui aura
dissous le MDR[22][22] et refusé d’agréer l’ADEP-Mizero[23][23] ou le PDR-Ubuyanja[24][24]. Ce n’est pas l’amour de la démocratie qui inspira à Kagame l’idée de jeter en prison son prédécesseur Pasteur Bizimungu et ses compagnons, de faire éliminer des justes
comme Augustin Cyiza[25][25] et bien d’autres encore. Ce n’est pas par crainte de la
démocratie que plusieurs parmi les tenants du pouvoir en place prennent leurs
précautions en plaçant leurs familles ou leurs proches dans un exil plus ou moins
déguisé. Ce n’est pas sous la menace de la démocratie que nombreux hommes et
femmes d’affaires rwandais « préfèrent » quitter le pays ou à tout le
moins se démarquer des marchés publics nationaux entièrement monopolisés par le
parti au pouvoir.
Le syndrome du nombre
Il est urgent de modifier la relation qu’en politique, des
Hutu et des Tutsi entretiennent entre la démocratie et le facteur
« nombre » si l’on tient réellement à implanter une démocratie au
Rwanda. Ce n’est pas la démocratie que les Tutsi rejettent lorsqu’ils
s’opposent aux élections ou lorsqu’ils les truquent afin de les
« remporter ». Ce n’est pas vraiment la démocratie qui incitait les
régimes Hutu dans le passé ou le régime Tutsi aujourd’hui à s’imposer par des
scores surréalistes. Chacun entend, en son temps et à sa façon, démontrer que
tout le peuple est derrière lui et que, dans de telles conditions, toute
contestation est intolérable.
En vérité, les Tutsi se méfient de l’écrasante supériorité
numérique des Hutu quand ceux-ci tendent à en faire leur principal
argument dans le débat politique. Il s’agit d’un dilemme dont les Rwandais
doivent ensemble se tirer, de préférence avec un accompagnement bien dosé de la
Communauté internationale. Le comble est que depuis près d’un demi-siècle, nos
élites s’évitent pour ne pas avoir à se parler. Il faut reconnaître que rien
n’est plus difficile que de dialoguer au lendemain d’une tragédie dont les
conséquences ont largement débordé les frontières nationales.
Il me paraît primordial qu’ensemble et en toute honnêteté,
les Rwandais reconnaissent la tragédie nationale et l’assument. Si l’on doit se
garder d’escamoter la dimension individuelle de cette catastrophe, il serait
cependant dramatique d’en occulter la dimension collective. Aucun individu,
aucun groupe aussi majoritaire ou puissant soit-il, ne saurait seul incarner le
mal ou le bien de toute une Nation. On
le voit bien, les Hutu et les Tutsi du Rwanda, sans négliger les Twa, devraient
faire un effort pour se regarder en face et convenir ensemble de ce qu’il
convient de faire.
S’adressant particulièrement à Paul Kagame
mais aussi indirectement à toute la classe politique rwandaise, Ildephonse Murayi alias Nikozitambirwa[26][26] exprime cette interrogation absolument pertinente :
« Pourquoi le discours politique
n'a-t-il pas, au Rwanda, varié depuis Grégoire Kayibanda
dans les années 1960 jusqu'à Paul Kagame dans les
années 1990-2000 en passant par Juvénal Habyarimana dans les années 1970-1990?
Qui est génocide? (dixit Grégoire Kayibanda).
La réponse de Grégoire Kayibanda à cette question
était trop simple (très simpliste). Celle de ses successeurs aussi. Je pose la
question à Paul Kagame. Qui est génocide? Sa réponse
à la Grégoire Kayibanda ne fait pas de doute. ‘Mes
adversaires. Tous mes adversaires. Rien que mes adversaires’ ».
Il est temps d’ouvrir et d’animer des débats d’idées
authentiques et fructueux pour être à même de relever les défis historiques
auxquels notre génération est confrontée. Il nous faut, pour ce faire,
davantage d’unité et de solidarité. La survie de la Nation en dépend.
Modifier le
regard du monde sur notre pays…
Certains ont pris l’habitude de regarder le Rwanda à
travers le prisme déformant de sa position géostratégique dans la région et en
particulier par rapport à son grand voisin de l’ouest à savoir la République
démocratique du Congo. Certaines puissances ne voient dans le Rwanda qu’un
instrument de leurs intérêts dans l’Afrique des Grands Lacs dont les immenses
richesses ont rarement constitué des atouts. Le Rwanda serait un territoire
inhabité que cela ne dérangerait en rien leur conscience ! Le Rwanda est
bon s’il nous permet de contrôler les immenes
richesses de la RDC ! « Peu importe finalement le régime politique
qui y est établi. Pourvu qu’il se montre coopératif », semble-t-on
indiquer dans certains milieux occidentaux connus pour leurs convoitises face
aux immenses ressources congolaises. On en a vu qui saluer un modèle
démocratique à travers la farce électorale de 2003 dans laquelle ils ont cru
décoder une réconciliation plutôt réussie. Quel cynisme ! Comment
pourrait-on admettre qu’un régime tyrannique comme celui de Paul Kagame et son FPR se légitime par un score de 95% tout en
refusant de concéder la moindre part des miettes(5%) à
son opposition ?
Dans la logique internationale actuelle marquée par d’intenses
efforts visant à pacifier et à
stabiliser l’Afrique des Grands Lacs, certains semblent marchander avec Kigali
la stabilité de ses voisins. « Qu’ils
laissent Kinshasa tranquille et nous fermerons les yeux », disent
certains au sujet de cette junte militaire qui intimide, terrifie et
clochardise de plus en plus notre peuple. « Qu’ils
s’abstiennent d’une guerre ouverte avec l’Ouganda et de tout sabotage au
Burundi et nous ferons taire toute critique », se disent les autres,
redoutant de devoir un jour affronter le régime de Kigali sur ses pratiques
antidémocratiques.
Comme si, établie au Rwanda, une dictature pouvait
contribuer à la démocratisation et à la stabilisation dans la région. Comme si
l’on pouvait éteindre un incendie tout en évitant soigneusement d’en effleurer
le foyer. Cette stratégie du pompier pyromane aura provoqué de terribles
catastrophes humanitaires en Afrique des Grands Lacs: crimes de guerre,
crimes de génocide et autres crimes contre l’humanité. Il est temps de modifier
le regard de la Communauté internationale sur cette région. Au-delà du pétrole,
de l’or, du diamant et du coltan, il y a des millions
d’hommes, de femmes et d’enfants dont le sang est rouge comme celui de tous les
humains. Les peuples de l’Afrique des Grands Lacs n’ont-ils pas consenti assez
de sacrifices sur l’hôtel de l’orgueil et de l’égoïsme des seigneurs de guerre
manipulés par certains Gouvernements occidentaux et diverses
multinationales ?
« Combien de
pays africains qui vivent dans des dictatures étranges, alors que ces
dictateurs sont élus très démocratiquement à la satisfaction des
observateurs venus de l'Occident ? », s’interroge Bandora.
« Elus » sans doute, voire plébiscités mais non
pas « très démocratiquement » et même pas démocratiquement du tout.
Comment peut-on parler d’élections démocratiques quand, à l’avance et à %, on
en connaît tous les résultats jusqu’au moindre détail ? Ce fut le cas dans
notre pays lors des élections de 2003. Mais la « transparence » la
plus inédite sera observée deux ans plus tard quand, en février 2006, des
élections aux résultats annoncés se tiendront dans différents districts du
pays. Ainsi connaissait-on, deux mois à l’avance et sans qu’aucune campagne
électorale n’ait été nécessaire, le futur Gouverneur de la Ville de Kigali et
tous ses collaborateurs ! Qui ignore que, consciemment ou non, tous les
élus actuels sont cooptés par le parti Etat qu’est devenu le FPR ? Vous
aviez dit démocratie ?!
Michel Bandora pose en tout cas
des questions intéressantes et fort pertinentes que la classe politique
rwandaise à tendance d’éluder ou de contourner. Mais tel le naturel qu’on
chasse, la question ethnique revient au galop.
« Depuis 1959 au Rwanda, écrit Bandora, tout en prêchant la démocratie, certains partis
prennent les précautions d’éliminer physiquement ou par déportation leurs
adversaires politiques ». « Le nettoyage ethnique et finalement le génocide ont été
utilisés comme une arme décisive pour s'assurer la prise et le contrôle
du pouvoir »,
poursuit-il en glissant cette question significative: «N'était-il
pas une injustice doublée d'une erreur mathématique d'organiser les
élections dites démocratiques au Rwanda, il y a deux ans, juste après un génocide
d'un huitième de la population ? ». Mais Bandora
ne nous explique pas précisément comment l’ordonnateur de ces élections
prétendument démocratiques parvint tout de même à arranger ses calculs.
Bandora poursuit en faisant remarquer qu’au Rwanda, « Nous
savons très bien qu'à un certain moment, pour mieux impliquer le plus grand
nombre possible de la population, la criminalité a été le mot d'ordre
étatique et moral pour toute la population » et en
s’interrogeant : « Dans ce cas-ci, pourquoi doit-on accorder
à ces présumés criminels l'occasion de se désigner des représentants qui,
ensuite, vont voter les lois pour s'amnistier comme cela se passe actuellement
dans le pays situé au Sud du Rwanda? ».
Ici non plus, notre ami Bandora
ne semble pas remarquer le stratagème utilisé par l’Etat FPR qui se retranche
cyniquement derrière cette population trop longtemps manipulée. On les a
manipulés pour massacrer, piller et détruire ? Utilisons-les désormais
pour rendre justice (sur des sujets aussi délicats que des actes de génocide et
crimes contre l’humanité) et poussons-les à se réconcilier ! Voilà la
Réconciliation nationale version FPR. « Ils
lient de très lourds fardeaux dont ils chargent les épaules des petites
gens », comme dirait Jésus de Nazareth à propos des Pharisiens de notre
temps.
Comment l’Etat se permet-il de se décharger d’une mission
normalement lui dévolue, sur une population aussi fragilisée, intoxiquée et
toujours manipulable à merci ? Mais tout dépend de quel Etat il s’agit. Le
FPR traîne tant de casseroles qu’il ne saurait sortir indemne d’un dialogue
politique honnête, libre et contradictoire. Alors on gesticule en évoquant une
démocratie « participative ». Ni plus ni moins que celle dite
« responsable » dont tout le monde connaît le destin tragique.
Quant à l’évolution politique observée dans le pays qui se
trouve au sud du Rwanda, allusion faite au Burundi, Michel Bandora
devrait savoir une chose : les Barundi ont le
mérite de reconnaître ces réalités douloureuses que nous tentons de nier ou
d’occulter au Rwanda. Ils se reconnaissent différents mais complémentaires et
n’entendent aucunement remettre en cause l’unicité et l’unité de leur Nation.
Si les risques évoqués par Bandora notamment au sujet
de la Justice sont bien réels, force est cependant de constater qu’au Burundi,
on en débat ouvertement et à cœur ouvert. Il suffit, pour s’en rendre compte,
de lire la presse burundaise et de suivre l’action courageuse menée par la
société civile de ce pays. Dans ces conditions, l’Identité burundaise
finira-t-elle par prendre le pas sur les identités ethniques ? C’est ce
qu’on doit souhaiter à nos voisins et frères du sud.
Et Bandora
d’insister : « Dès lors, après un génocide qui extermine plus
de 80 % d'un groupe ethnique et politique, comment peut-on organiser des
élections équitables sans pénaliser les partisans du groupe qui a été
physiquement éliminé ? ». Mais ici notre compatriote risque de taper à
côté. Le Général Major Paul Kagame et sa junte
n’ont-ils pas mis en place une puissante machine de cooptation
« politique » à grande échelle dont, il faut le reconnaître, le
moteur se met de plus en plus à grincer ?
S’inscrivant en faux contre les suivistes du modèle
occidental, Bandora écrit : « Fallait-il
absolument suivre le modèle occidental de la démocratie, où les 51% ne
tiennent pas compte des 49% pour gouverner? Ou
fallait-il trouver un modèle plus approprié au contexte rwandais avec ses
majorités qui doivent savoir que ses minorités ont non seulement droit à
la cité, mais aussi et surtout à la vie ? ».
Sans anticiper sur le modèle d’organisation et de
représentation nationale que Bandora entend proposer
à l’heure du Dialogue national dont l’avènement ne sera pas indéfiniment
différé, je pense qu’il nous faut reconnaître que la démocratie est le moins
mauvais de tous les systèmes de gouvernement. Je suis intimement convaincu
qu’au Rwanda, l’autre nom de la Réconciliation doit être la Démocratie. Et sans
être un suiviste aveugle ou entêté de l’école occidentale, je crois
profondément au message libérateur du Grand et Sage Nelson Mandela[27][27] tel qu’il transparaît des paroles qui suivent et qui
serviront de conclusion à la présente réflexion :
« … Avant tout, nous voulons des droits politiques
égaux, parce que sans eux nous restons impuissants. Je sais que cela sonne de
façon révolutionnaire pour les Blancs de ce pays, parce que la majorité des
électeurs sera constituée d’Africains. Oui, le Blanc a peur de la démocratie.
Mais on ne peut permettre à cette crainte de barrer le chemin à la seule
solution qui garantira la paix et la liberté pour tous. Il n’est pas vrai que
l’égalité des droits entraînera pour conséquence la domination raciale. La
division politique basée sur la couleur est entièrement artificielle et,
lorsqu’elle disparaîtra, il en ira de même de la domination d’un groupe de couleur
sur un autre. Le C.N.A. a consacré un demi-siècle à
combattre le racisme ; il ne changera pas de politique quand il aura
triomphé.
Tel est le combat du Congrès
national africain. Il s’agit vraiment d’une lutte nationale. Toute ma vie j’ai
lutté pour la cause du peuple africain. J’ai combattu la domination blanche et
j’ai combattu la domination noire. J’ai adopté pour idéal une société
démocratique et libre où tout le monde vivrait ensemble dans la paix et avec
des chances égales. J’espère vivre pour le conquérir, mais c’est aussi un idéal
pour lequel je suis prêt, s’il le faut, à mourir ».
Déo Mushayidi
01/05/2006
Email
posté le 23/04/2006.
[28][2] Email
posté le 21/04/2006.
[29][3] « Umwami »,
le titre que portait le monarque au Rwanda
[30][4] Mutara
III Rudahigwa règne du 16/11/1931 au 25 juillet 1959
où il décède à Bujumbura dans des circonstances mystérieuses.
[31][5] PARMEHUTU, Parti du mouvement
de l'émancipation des Bahutu fondé par G. Kayibanda, présenté souvent comme tribaliste et
sudiste.
[32][6] G. Kayibanda
fut Président du Rwanda du 26/10/1961 au 05/07/1973 en remplacement de D. Mbonyumutwa, Président provisoire du 28/01 au 26/10/1961.
[33][7] APROSOMA, Association pour le progrès social de la masse, parti de
Joseph Habyarimana Gitera.
[34][8]RADER, Rassemblement
démocratique rwandais, parti modéré souvent accusé d’être une création des
Belges pour diviser les Tutsi.
[35][9] Jean-Paul Harroy, Gouverneur belge du
Rwanda
[36][10] Discours prononcé en 1964
et publié dans Rwanda Carrefour d’Afrique, n°31 de mars 1964.
[37][11] Il s’agit de partisans de l’UNAR, Union
nationale Rwandaise, parti réputé conservateur et très proche du Roi, le Mwami.
[38][12]Sur ordre du Président Kayibanda, les
membres Tutsi du Gouvernement sont exécutés en 1963 après le massacre de Gikongoro au sujet duquel Bertrand Russel déclare qu'il
s'agit " du massacre le plus horrible et le plus systématique depuis
l'extermination des Juifs par les nazis ".
[39][13] MRND,
Mouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique fondé
par Juvénal Habyarimana.
[40][14] NRA, National Resistance Army, mouvement
politico-militaire créé en 1981 par Yoweri Kaguta Museveni.
[41][15] Fred Gisa Rwigema est le fondateur et
Chef charismatique du FPR-Inkotanyi. Il meurt au
combat le 02/10/1990. Sa mort reste mystérieuse.
[42][16] Homme discret et énigmatique, le Major
Paul Kagame était inattendu au poste de Commandant
des forces rebelles. Mais à la mort de Fred Rwigema,
il y parviendra avec concours de Museveni.
[43][17] Interview parue dans l’édition
du 10/04/2006
[44][18] Il s’agit de Louis Michel, ancien Ministre belge des affaires
étrangères, actuel Commissaire européen au Développement et à l'Aide
humanitaire.
[45][19] « Umunyanduga », originaire
du Sud, bastion de G. Kayibanda, mais par extension, le
terme désignera les rwandais originaires du reste du pays par rapport à la
région de Gisenyi et Ruhengeri
d’où sont natifs Juvénal Habyarimana et nombre d’officiers supérieurs de
l’armée.
[46][20] « Umukiga », originaire du
Nord du Rwanda.
[47][21] S. Sendashonga, membre éminent du FPR
et ancien ministre de l’intérieur dans le Gouvernement du 19/07/1994, assassiné
le 16/05 1998 à Naïrobi au Kenya où il s’était exilé.
Le Col Théoneste Lizinde,
Député membre du FPR, a été éliminé dans des conditions similaires.
[48][22] MDR, Mouvement démocratique républicain, né en 1991, se voulait
l’héritier « réformiste » du Parmehutu.
[49][23] ADEP-Mizero, Alliance pour la
démocratie, l'équité et le progrès (Adep)-Mizero (espoir en kinyarwanda), parti créé en juillet 2003
par notamment Célestin Kabanda et Faustin Minani, anciens membres du MDR dissous pour
« divisionnisme ethnique ».
[50][24] PDR-Ubuyanja,
Parti démocratique pour le renouveau,
créé par Pasteur Bizimungu et Charles Ntakirutinka en mai 2001.
[51][25] Augustin Cyiza,
officier supérieur de l’armée démobilisé, ex-Vice Président de la Cour suprême,
porté disparu le 23/ 04/2003.
Des témoignages fiables accréditent la thèse d’un assassinat politique
[52][26] Email posté le 25/04/2006
[53][27] Nelson Mandela, L’Apartheid, Editions de Minuit, Paris, 1988.