Une
virginité vendue
aux enchères 2,3 millions d’euros
Alexandra
Khefren dans l'émission «This Morning»,
en novembre. Photo Ken McKay. ITV. Shutterst. SIPA
Agée
de 18 ans, une mannequin roumaine a mis sa
«première fois» en
vente au plus offrant sur Internet. Un juteux business pour le site
«d’escorts»
qui a passé l’annonce depuis l’Allemagne.
Pendant
six mois, Alexandra Khefren, une mannequin roumaine
de 18 ans, a
proposé sa virginité aux enchères sur
le site de l’agence allemande Cinderella
Escorts. La semaine dernière, un «homme
d’affaires de Hongkong», dont
l’identité et la nationalité
n’ont pas été divulguées, a
remporté les enchères
pour 2,3 millions d’euros.
«Un
très bon
deal».
Invitée à l’émission This
Morning de la chaîne de
télévision britannique ITV en novembre, Khefren
expliquait son projet : «J’y ai
pensé la première fois
à 15 ans
quand j’ai vu le film Proposition indécente
[dans lequel une jeune
mariée vend une nuit d’amour pour
1 million de dollars, ndlr]. D’autres
filles donnent leur première fois à leurs copains
qui les quitteront peut-être
plus tard.» Elle n’avait pas encore
d’idée de la somme qu’elle pouvait
récolter, mais savait déjà comment
l’employer : «Des études de
marketing et
de business à Oxford et une maison pour
mes parents.» Sa famille
n’était pas encore au courant de son projet et
elle-même pas très au fait des
éventuels risques sanitaires de
l’expérience : «Je
n’y ai pas pensé. Je ne
sais rien sur les relations sexuelles.»
Alexandra
Khefren n’est pas la seule jeune femme à mettre en
vente sa virginité sur le
site de Cinderella. En toute légalité.
Contrairement à la France qui a aboli la
prostitution, l’Allemagne a adopté en
janvier 2002 une loi très libérale
destinée à renforcer les droits des
prostitués, notamment l’accès
à la sécurité
sociale, et ne considère plus cette activité
comme «immorale». Le
proxénétisme, lui, est toujours interdit.
Cinderella
Escorts est une petite agence allemande créée par
Jan Zakobielski, 26 ans,
depuis sa chambre dans la maison de ses parents, à Dortmund.
Sur son site,
on trouve douze escorts-girls et quelques
«célébrités»
(entendre des actrices
porno). Le nombre de «vierges»
a doublé depuis l’annonce du jackpot de
Khefren : il serait passé à huit.
Contactée
par Libération, l’agence, va
jusqu’à se vanter d’être la
première agence
à connaître le succès avec le business
des vierges, et d’avoir reçu pas moins
de 400 candidatures. Elle dit prendre 20
% de commission pour gérer les enchères
et accompagner les
jeunes femmes au rendez-vous, et assure faire passer un test
psychologique aux
candidates : «On n’accepte pas de femmes
qui sont encore jeunes dans leur
tête.» Selon notre interlocuteur,
Alexandra Khefren aurait passé un examen
médical pour prouver sa virginité.
Traite
moderne. Proposition
indécente ou victoire féministe ?
«Vendre sa virginité n’est a priori pas
problématique, même s’il y a un risque
que la jeune femme regrette plus tard sa décision, affirme
Undine de Rivière,
porte-parole du syndicat allemand du travail sexuel. Des adultes
responsables
doivent pouvoir prendre cette décision.»
Celle qui travaille dans le sexe
depuis vingt-deux ans précise : «La
première fois n’a pas la même valeur
pour tout le monde. Si je pense à ma première
fois, 2,3 millions sont
vraiment un très bon deal.»
«Je ne
peux
pas croire à cette somme»,
s’étonne
de son côté Sabine Constabel, assistante sociale
et directrice de Sisters, une
association allemande qui aide des femmes à quitter la
prostitution. «C’est
complètement absurde. Si je pense à toutes ces
très jeunes filles de
18 ans selon leur pièce
d’identité, mais qui font plus jeunes, et qui sont
vendues en Allemagne
pour 30 euros…» Elle
confirme que les
clients en Allemagne recherchent de plus en plus l’image de
la virginité : «Les
clients veulent des filles de plus en plus jeunes avec le moins
d’expérience
possible.» Dans nombre de cultures, «la
virginité est toujours le
premier capital féminin sur le marché
matrimonial», confirme la sociologue
Isabelle Charpentier. S’appuyant sur ses recherches sur la
réfection de l’hymen
en Europe comme dans les pays du Maghreb, elle observe que, par ces
pratiques, «l’impératif
toxique de la virginité demeure».
En optant
pour un système réglementariste (et non
abolitionniste) il y a quinze ans,
l’Allemagne a voulu renforcer la situation juridique des
prostitués. Pour
Sabine Constabel, «des études confirment
que la loi libérale a fait de
l’Allemagne un territoire pour la traite des êtres
humains».
L’an
dernier, une nouvelle loi a rendu obligatoire l’usage des
préservatifs et
l’inscription administrative pour les travailleurs du sexe.
Cette dernière
mesure est férocement critiquée.
Instituée pour protéger les femmes qui
arrivent illégalement en Allemagne de
l’exploitation sexuelle, elle pousse dans
l’illégalité les prostitués
qui refusent de s’inscrire pour des raisons
diverses, comme la préservation de l’anonymat. Sur
le site de l’agence,
Alexandra Khefren, qui n’a pas répondu
à notre demande d’interview, se dit «très
contente de sa décision», et
considère l’enchère finale comme
«un rêve
devenu réalité»,
même si sa décision est jugée immorale
dans la presse
internationale.
La jeune
femme se disait en novembre sûre
«qu’un homme prêt à
dépenser autant
d’argent est un homme bien». Il sera
difficile de savoir si le contrat sera
respecté et dans quelles conditions. «On
considère comme un tabou que j’aie
le droit de faire de mon corps ce que je veux, se
défend Alexandra Khefren.
Chacun devrait vivre comme il veut.»