AVANT-PROPOS

Le cinquantième anniversaire de la Révolution sociale rwandaise de 1959 suscitera certainement de nombreuses réflexions et réactions. Au-delà de cet événement, ce qui m’amène à écrire, c’est le fait que j’appartiens à une génération qui a connu deux guerres civiles en l’espace de trente ans (1960-1990).

Le « je » haïssable que j’emprunterai dans ce livre, et que le lecteur ne manquera pas de relever, résulte d’un compromis avec mon éditeur. « Pourquoi ne rédigeriez-vous pas - de façon chronologique - le récit de votre existence en le parsemant de vos réflexions et surtout en ouvrant - si possible - des pistes de conciliation nationale… Nous serions intéressés par un récit de vie qui va au-delà du génocide (planifié ou pas), du Hutu Power (imaginé ou réel) et tutti quanti qui obscurcit la compréhension de la société rwandaise par les Rwandais eux-mêmes. »

N’ayant moi-même aucune intention de jouer à l’historien, au politologue ou au juge que je ne suis pas, j’ai accepté cette approche tout en reconnaissant ses limites et ses dangers. Le lecteur trouve toujours que cette approche centrée sur le « moi » en dit trop ou trop peu et il n’a pas tort. Le risque était à prendre ou à laisser. J’ai pris ce risque tout compte fait, puisque moi-même je ne fais que m’interroger comme n’importe qui sur les chances de la démocratie au Rwanda. Je n’ai pas de recettes à donner, encore moins des dogmes à prodiguer. Je me pose seulement la question suivante : pourquoi les deux tentatives de démocratisation ont abouti, en l’espace de trente ans, à deux guerres civiles particulièrement sanglantes ? A quand la Démocratie ?

1ère démocratisation (1959-1961)

Dans la foulée de la lutte pour l’émancipation des peuples colonisés, les Hutu majoritaires à 85 %, s’estimant opprimés comme tels, luttent pour la démocratisation du pouvoir d’abord avant l’octroi de l’indépendance, craignant que celle-ci ne profite à l’aristocratie minoritaire tutsi qui dominait le pays depuis des siècles. La volonté de changement des uns face à la résistance des autres déboucha sur la « Révolution sociale » rwandaise de 1959 et la victoire par les urnes - un homme, une voix - des partis politiques de masse majoritairement hutu. Cette révolution et cette victoire seront taxées de « révolution hutu » et de « démocratie ethnique » par l’aristocratie tutsi qui n’avait pas gagné ces élections.

2ème démocratisation (1992-1994)

Trente ans après, dans la foulée de la mondialisation, ceux qui avaient fui cette « révolution hutu » et cette « démocratie ethnique » rentrent au pays l’arme à la main et exigent une « démocratie non ethnique ». Un Accord de paix est signé dans ce sens à Arusha (Tanzanie) le 4 août 1993. Ce qui arriva après cet accord montra malheureusement que la culture du mensonge, de l’hypocrisie et de la dissimulation, restait plus forte que l’état de droit couché sur papier à Arusha.

Il est vrai aussi que la décolonisation des années 1960 comme la mondialisation des années 1990, porteuses de conflits, impliquaient les Rwandais sans que ces derniers n’en maîtrisent tous les tenants et aboutissants.

A quand la démocratisation aboutie ?

Aujourd’hui que les ethnies sont inscrites en lettres de sang, la démocratie au Rwanda s’avère certainement plus problématique, mais elle est toujours possible. Faut-il encore que les dirigeants acceptent de se soumettre eux-mêmes à l’école (ingando) de la démocratie. C’est peut-être cela qui a manqué, car un dirigeant ne peut donner ce qu’il n’a pas lui-même.

Bruxelles, janvier 2009