Rwanda
: Le
gouvernement se livre à une répression dans des
affaires foncières
31
mars 2017
Les
autorités menacent et poursuivent en justice des
résidents qui formulent des
critiques
(Nairobi)
– Les autorités militaires et
civiles de l’ouest du Rwanda ont
arrêté, passé à tabac ou
menacé des
personnes qui ont contesté de récentes
décisions du gouvernement visant à forcer
certains habitants à quitter leurs terres, a
déclaré Human Rights Watch
aujourd’hui.
Oscar
Hakundimana lors de son
arrestation à Nyamyumba, le 7
décembre 2016, après qu'il ait
exprimé
des objections à une décision du gouvernement
forçant 30 familles à quitter
leurs terres.
©
2016 Privé
Une de ces
affaires concerne un litige foncier déjà ancien
à Nyamyumba, dans le district
de Rubavu, où les autorités locales ont
commencé à forcer certains habitants à
quitter leurs terres agricoles, en faveur d’une autre famille
ayant une
revendication contestée de ces terres. L’autre
concerne la construction d’un
nouveau « village modèle »
à Kivumu, dans le district de Rutsiro, où
certains résidents qui vont être contraints de
quitter leurs terres ont exprimé
leur préoccupation au sujet des indemnités
offertes par le gouvernement, qu’ils
considèrent comme insuffisantes.
«
Les
menaces, les arrestations ou les passages à tabac ne sont
pas des méthodes
appropriées pour faire face à des situations dans
lesquelles des personnes sont
dépossédées de leurs terres et de
leurs moyens d’existence », a
déclaré Ida
Sawyer, directrice pour l’Afrique
centrale à Human Rights Watch. «
L’objectif du gouvernement de régler les litiges
fonciers et de moderniser les
villages est légitime, mais piétiner les droits
des personnes les plus
affectées et qui expriment leurs craintes pour leurs terres
et pour leurs
moyens d’existence ne l’est pas. »
De janvier
à
mars 2017, Human Rights Watch s’est entretenu avec plus de 20
habitants de
Kivumu et de Nyamyumba et avec d’autres personnes
familiarisées avec ces
dossiers, et a observé et analysé les
procédures judiciaires relatives à ces
affaires.
Les
autorités ont intimidé, menacé ou,
dans certains cas, passé à tabac les
quelques habitants qui les ont critiquées, même
modérément. Des fonctionnaires
ont arrêté des membres en vue de ces
communautés et les ont accusés de
provocation au soulèvement, mettant en demeure
d’autres résidents de se garder
de toute critique, ce qui a eu un effet glaçant dans
l’ensemble de la
communauté.
De nombreuses
personnes qui tirent leur existence du travail de leurs terres ont peur
que la
solution imposée par le gouvernement ne menace leur mode de
vie. Dans les deux
affaires qui se sont déroulées à
Nyamyumba et à Kivumu, le gouvernement local a
imposé une solution sans le consentement informé
ou la pleine participation des
habitants, et sans la participation d’une autorité
indépendante - juridique ou
autre - pour mettre en place un processus équitable de
règlement des litiges
fonciers, a constaté Human Rights Watch.
À
Nyamyumba,
bien qu’une famille influente revendiquât depuis
longtemps la terre, les
résidents qui travaillaient sur cette terre
s’étaient vu il y a quelques années
décerner des titres fonciers. L’un d’eux
avait obtenu gain de cause devant un tribunal,
contre cette famille. Mais en novembre 2016, le maire du district de
Rubavu a
ordonné à 30 familles de quitter leurs terres.
Plusieurs réunions ont alors été
organisées dans la région, lors desquelles les
résidents ont été menacés
et
empêchés de s’exprimer. Les
autorités locales, civiles et militaires, ont
accusé des agriculteurs qui ont fui leurs villages de
crainte d’être arrêtés,
d’être des rebelles.
Lorsqu’un
représentant de la communauté locale, Oscar
Hakundimana, a formulé des
objections à la décision du maire, il a
été arrêté, le 7
décembre, et accusé de
rébellion et de provocation au soulèvement.
Certains habitants qui ont protesté
contre son arrestation ont été passés
à tabac. Son procès a
débuté le 28 mars
2017.
À
Kivumu,
des préparatifs ont commencé pour la construction
d’un « village modèle »,
un village centralisé dans lequel quatre familles se
partageront un logement
moderne livré avec des commodités de base comme
l’eau et l’électricité. Les
habitants de la localité seront contraints
d’abandonner leurs habitations et
leurs exploitations agricoles pour laisser la place au village
modèle, avec des
indemnités de divers montants. Le gouvernement
prévoit de créer un village
modèle dans chacun des 30 districts du pays.
Bien que les
habitants de Kivumu aient bien apprécié certains
aspects du plan visant à créer
un village moderne, beaucoup d’entre eux affirment que leurs
droits n’ont pas
été respectés lors du processus
d’expropriation, y compris leurs droits à la
liberté d’expression, à des
indemnités équitables et à une
participation
publique, et qu’ils craignent de graves
conséquences pour leur sécurité
alimentaire et leurs revenus lorsqu’ils devront abandonner
leurs terres.
D’autres ne sont pas à l’aise
à l’idée de partager un logement avec
d’autres
familles, dans un village centralisé. Plusieurs habitants
qui ont tenté de
poser des questions ou d’exprimer des inquiétudes
au sujet du processus, ont
affirmé à Human Rights Watch que les
autorités locales les avaient intimidés ou
menacés et les avaient mis en demeure de se taire.
Léonille
Gasengayire, originaire de
Kivumu, arrêtée en 2016 pour s'être
s’exprimée contre
l’expropriation des
terres, poursuivie en justice pour provocation au
soulèvement, puis acquittée
par un tribunal le 23 mars 2017.
©
2016 Privé
Une
étudiante et activiste politique de la région qui
était soupçonnée de
s’opposer
au plan, Léonille Gasengayire, a été
arrêtée en août 2016 et
inculpée de
provocation au soulèvement. Des habitants qui ont
essayé de témoigner à
décharge lors de son procès ont
été la cible de manœuvres
d’intimidation. Un
tribunal l’a acquittée et remise en
liberté le 23 mars 2017.
La maire du
district de Rutsiro a affirmé à Human Rights
Watch ne pas être au courant de
l’existence de critiques des expropriations. Le
ministère de la Justice et
d’autres responsables locaux n’ont pas
répondu à des demandes
répétées de Human
Rights Watch de discuter des résultats de ses recherches
concernant ces deux
affaires.
Le Rwanda
est le pays qui a la plus forte densité de population
d’Afrique subsaharienne
continentale. La terre est une ressource rare et a
été une cause de tension
tout au long de l’histoire du pays. En 2001, Human Rights
Watch a publié un rapport sur une
politique du gouvernement qui visait à
regrouper les Rwandais dans des villages créés
par lui, employant la contrainte
contre ceux qui résistaient, avec comme résultat
de nombreuses violations des
droits humains. Des habitants ont souvent été
expropriés de leurs terres sans
recevoir d’indemnités adéquates ou sans
être consultés, et de nombreux Rwandais
qui se sont exprimés ouvertement contre cette politique ou
ont refusé d’obéir
ont été punis d’amendes ou
arrêtés.
«
L’intolérance du gouvernement rwandais pour la
contestation va au-delà des
leaders d’opposition, des journalistes ou des activistes des
droits humains qui
osent faire état de ses abus », a
affirmé Ida Sawyer. « Le gouvernement
peut démontrer un réel attachement aux droits
fondamentaux de ses citoyens,
tels que les libertés d’opinion et
d’expression et le droit à un processus
équitable, en remettant immédiatement en
liberté Oscar Hakundimana. Il devrait
également cesser de harceler d’autres personnes
qui ont exprimé leur opposition
aux décisions du gouvernement concernant les affaires
foncières. »
Litige
foncier à Nyamyumba
Le litige
foncier de la cellule de Rubona, dans le secteur de Nyamyumba, dans le
district
de Rubavu, est étroitement lié à
l’histoire du Rwanda. À la suite de violences
et d’importants mouvements migratoires à
destination et en provenance du Rwanda
depuis la « révolution
» de 1959, quand les membres de l’ethnie Hutu se
sont emparés des leviers du pouvoir au Rwanda à
la suite de vagues de violences
interethniques, la propriété des terres dans la
région est disputée et a
alterné entre la famille Munyegomba, dont la revendication
de la terre date
d’avant 1959 et est actuellement soutenue par les
autorités locales, et un
groupe de 140 familles qui occupent et travaillent ces terres depuis de
nombreuses années.
Les terres
contestées dans le
secteur de Nyamyumba, dans le district de Rubavu.
© 2017
Privé
Des membres
de la famille Munyegomba ont fui le Rwanda après 1959 et
d’autres résidents ont
alors occupé leurs terres. La famille est revenue
après le génocide
de 1994, quand les personnes qui avaient
occupé les terres en son absence se sont enfuies en
République démocratique du
Congo. Ces résidents qui avaient fui sont revenus en 1996 et
1997, pour
constater que les terres avaient été
réoccupées.
La famille
Munyegomba a quitté de nouveau les terres quelques
années plus tard, quand des
groupes armés basés en RD Congo,
communément appelés les «
infiltrés »,
ont commis des attaques sanglantes au Rwanda à la fin des
années 90. Les
résidents qui étaient rentrés de RD
Congo ont engagé avec succès des
démarches
auprès des autorités nationales pour
récupérer leurs terres. Ils ont
recommencé
à travailler ces terres et ont continué
à le faire jusqu’à ces derniers mois.
De 1998
à
2011, la famille Munyegomba a tenté de
récupérer les terres en engageant des
procédures judiciaires contre un dirigeant communautaire
– le père d’Oscar
Hakundimana – mais sans succès : en appel, un
tribunal a statué que les terres
appartenaient au père d’Hakundimana. Lors
d’une opération nationale
d’enregistrement des terres, les terres
d’Hakundimana et d’autres résidents ont
été enregistrées et des titres
fonciers ont été attribués aux
agriculteurs,
malgré l’opposition de la famille Munyegomba.
À la
fin de
2015 cependant, les autorités locales ont
annoncé, lors d’une réunion
communautaire, que les terres agricoles appartenant à 30
foyers familiaux – une
revendication antérieure concernait 140 foyers –
devaient être transmises à la
famille Munyegomba. Trois personnes qui ont exprimé leur
opposition à cette
annonce, dont Oscar Hakundimana, ont été
arrêtées, puis remises en liberté le
lendemain.
Plusieurs
autres réunions communautaires ont suivi en 2016, lors
desquelles les autorités
locales ont continué de presser les résidents de
renoncer à leurs prétentions
sur les terres. En août 2016, la police a convoqué
30 personnes pour
interrogatoire et a brièvement détenu Hakundimana
qui, lors d’une réunion,
avait de nouveau refusé publiquement de renoncer
à ses terres. Un responsable
local a menacé d’arrestation d’autres
résidents.
Le 24
novembre, le maire de Rubavu, Jérémie Sinamenye,
a visité le village et
annoncé, lors d’une réunion
communautaire, que les 30 foyers familiaux
devraient quitter leurs terres avant le 20 janvier 2017. Il a
affirmé qu’ils
avaient acquis leurs terres de manière frauduleuse, que les
résidents avaient
précédemment accepté de quitter ces
terres et qu’ils devraient verser un loyer
s’ils refusaient de partir.
Lors de la
réunion communautaire, Hakundimana a critiqué la
décision du maire. Un
participant à la réunion a
déclaré par la suite à Human Rights
Watch :
Oscar a
déclaré que le gouvernement devrait respecter la
loi, mais qu’il lui semblait
que d’autres facteurs étaient en jeu. Il a
déclaré : « Nous
possédons des
documents légaux. Mais maintenant, vous venez nous les
prendre. N’est-ce pas le
même gouvernement [qui nous a attribué les titres
de propriété] ? » Le
maire a répondu : « Ne savez-vous pas qui
je suis ? Tu es devenu un rebelle
contre nous. Je ne sais pas comment je peux te répondre.
»
Le lendemain
de la réunion, des habitants ont écrit une lettre
aux autorités provinciales et
nationales, demandant au gouverneur de la province de l’Ouest
de suspendre la
décision du maire, étant donné que
celui-ci avait refusé de prendre en
considération leurs titres fonciers légaux.
Dans ce qui
apparaît comme une réplique, des militaires ont
arrêté Hakundimana le 7
décembre 2016. Lors de son arrestation, Hakundimana et
plusieurs autres
résidents ont été passés
à tabac. L’un d’eux a par la suite
déclaré à Human
Rights Watch :
Les
militaires ont arrêté Oscar et l’ont
emmené dans un camp militaire. […] Quand
ils sont arrivés dans notre village, ceux d’entre
nous qui habitent à proximité
ont demandé aux militaires : « Nous avons
entendu dire que vous
tuez des
gens. Avez-vous arrêté Oscar juste
pour le tuer ? Nous savons qu’il est
innocent. Pourquoi l’avez-vous arrêté ?
» Les militaires nous ont dit que
nous étions tous des rebelles contre le gouvernement, et
qu’ils ne pouvaient
pas tolérer nos erreurs. Puis ils nous ont
sévèrement battus à coups de
gourdins.
Hakundimana
est en détention préventive depuis cette date.
Les recherches effectuées par
Human Rights Watch indiquent qu’il a
été passé à tabac et
menacé en prison,
dans ce qui apparaît comme une tentative de le forcer
à quitter sa terre.
Le
ministère
public l’a accusé d’avoir
demandé, lors de la réunion avec le maire, quelle
branche du gouvernement ce dernier représentait, et
d’avoir déclaré que le
gouvernement rwandais détestait sa population, de sorte que
la population
devrait également détester le gouvernement. Lors
d’une audience le 28 mars, le
ministère public l’a également
accusé de s’adresser aux médias.
Hakundimana nie
ces accusations et a déclaré aux juges, lors
d’une audience préliminaire, qu’il
avait été arrêté
à cause du litige foncier et de son insistance sur le fait
que
son père avait obtenu gain de cause devant un tribunal au
sujet de ces terres,
et par conséquent qu’il ne pouvait pas maintenant
renoncer à ses prétentions
sur elles.
Après
l’arrestation d’Hakundimana, plusieurs
résidents se sont enfuis de leurs
domiciles pour plusieurs jours, craignant d’être
arrêtés. « La police et les
militaires nous recherchent », a
déclaré un résident en fuite
à Human
Rights Watch. « Nous nous sentons visés.
Nous ne pouvons pas accéder à nos
champs parce que la police et les militaires y sont. S’ils
nous trouvent, ils ne
nous emmèneront pas au poste de police ; ils nous tueront. »
Des
résidents ont affirmé à Human Rights
Watch qu’ils étaient
préoccupés au sujet
de l’indépendance des autorités et
craignaient d’être arrêtés.
L’un d’eux a
déclaré :
Nos
adversaires viennent sur nos terres agricoles et détruisent
nos récoltes. Quand
nous posons des questions à ce sujet aux
autorités, elles ne répondent pas. Ces
autres personnes [qui revendiquent la propriété
des terres] ont plus de pouvoir
que nous. Elles sont soutenues par le gouvernement et peuvent
s’emparer de nos
récoltes. Nous craignons, même
aujourd’hui, l’éventualité
d’être arrêtés. Ils
nous accusent d’être membres de partis politiques
qui s’opposent au
gouvernement.
Après
que
certains résidents eurent pris la fuite, le commandant
militaire local les a
accusés, lors d’une réunion
communautaire, d’avoir rejoint les Forces
démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un
groupe armé composé en grande
partie de Rwandais d’ethnie Hutu et basé dans
l’est de la RD Congo.
La femme
d’un des résidents qui avait
été ciblé a
déclaré :
C’est
un
problème d’argent. Nos adversaires sont des gens
qui ont beaucoup d’argent et
sont soutenus par les militaires et les autorités. Ils nous
persécutent pour
nous prendre nos terres. […] Ils ont inscrit mon mari sur
une liste de membres
d’un parti politique, le PS-Imberakuri [parti
d’opposition non enregistré].
Mais il n’a aucune idée de la façon
dont cela a pu se passer. Ils font cela
pour avoir des prétextes pour persécuter des
gens, pour dire qu’ils sont
opposés au gouvernement.
Plusieurs
résidents se sont adressés aux médias
au sujet de leur situation et maintenant,
ils craignent que le fait qu’ils aient parlé aux
médias soit une des raisons
expliquant la répression exercée à
leur encontre. L’un d’eux a
été cité
dans Kigali Today, un média favorable au
gouvernement, déclarant : « Nous
pourrions partir s’ils nous indemnisaient
en nous donnant d’autres terres. Mais comment pouvons-nous
leur céder ces
terres, qui sont notre moyen d’existence ?
»
Un autre
résident s’est exprimé sur Voice of
America au sujet de l’arrestation
d’Hakundimana :
Ces
accusations qu’ils ont portées contre lui sont des
mensonges. Comment peut-il
provoquer un soulèvement de la population contre
l’État quand il participe à
une réunion organisée par les
autorités ? Ils veulent juste fabriquer de
fausses accusations contre lui pour intimider les autres
résidents.
Hakundimana
a été inculpé de «
rébellion » et de «
provocation au soulèvement ou
aux troubles parmi la population. » Son
procès a commencé le 28 mars 2017.
Le jugement est attendu pour le 26 avril.
En
réponse à
une lettre que lui ont adressée des résidents, le
gouverneur de la province de
l’Ouest a visité la région le 21
décembre. En ce qui concerne l’arrestation
d’Hakundimana, il a déclaré:
« une chose pareille ne se produit
pas dans ce pays », ajoutant que des habitants ne
peuvent pas être
emprisonnés pour avoir exprimé une opinion. Il a
donné instruction au maire de
Rubavu de trouver une solution au litige. Et pourtant, près
de trois mois plus
tard, la situation n’a pas changé et Hakundimana
est toujours en détention
préventive, en attendant la fin de son procès.
Le maire de
Rubavu s’est rendu dans la localité
après la visite du gouverneur mais il n’a
pas annoncé comment la dispute sera résolue. Il
n’a pas fait de commentaire sur
les constatations de Human Rights Watch.
«
Village
modèle » à Kivumu
Une zone de
la cellule de Buyonyo dans le secteur de Kivumu dans le district de
Rutsiro a
été choisie pour la construction d’un
nouveau « village modèle.
» Selon
le contrat de performance du district, document signé chaque
année entre le
président rwandais et le maire du district pour fixer les
objectifs du
district, le village modèle sera utilisé pour
reloger des foyers familiaux
provenant de zones considérées comme à
hauts risques d’inondations ou de
glissements de terrain, ainsi que d’établissements
éparpillés. Cinquante-sept
foyers familiaux ont été informés en
août 2016 qu’ils allaient devoir quitter leurs
terres, qui seraient utilisées pour construire le nouveau
village.
Répression
gouvernementale dans des
affaires foncières. © 2016 John
Emerson pour Human Rights Watch
De nombreux
résidents ont affirmé que
l’indemnité qui leur a été
offerte était
insuffisante. Plusieurs ont déclaré à
Human Rights Watch que seuls les
personnes possédant des terres plus vastes avaient
reçu des indemnités ou que
les indemnités pour leurs maisons, leurs terres et leurs
récoltes ne
reflétaient pas leur véritable valeur. Certains
ont été informés qu’ils
seraient indemnisés en partie en se voyant attribuer une
place dans le village
modèle.
D’autres
ont
affirmé que les procédures légales,
aux termes de la loi rwandaise de 2015 sur
les expropriations, n’avaient pas été
suivies. La loi établit la procédure à
suivre pour approuver des expropriations dans
l’intérêt public et pour
déterminer les indemnités pour les terres, pour
les activités engagées sur ces
terres et pour le dérangement causé par
l’expropriation. Les personnes
affectées doivent être dûment
informées d’une décision
d’expropriation et
doivent être présentes lors de
l’opération d’évaluation. Le
propriétaire des
terres peut approuver ou contester la décision prise par
l’assesseur. La loi
stipule que « la juste indemnisation
destinée à l’exproprié doit
être payée
avant le déménagement. »
Certains
résidents ont affirmé que
l’expropriation de leurs terres sans indemnisation
par l’octroi de terres d’une valeur
équivalente les expose à de graves risques
pour leur sécurité alimentaire et leurs moyens
d’existence. Un agriculteur a
déclaré : « Nous admirons
réellement le développement de notre pays. Mais
le
développement de ce pays devrait également
prendre en compte notre sécurité
alimentaire. Nous ne pouvons pas vivre dans des logements sans une
terre qui
puisse nous fournir notre nourriture. »
Plusieurs
résidents ont déclaré que vivre
à quatre
familles par maison, dans un
lotissement centralisé, comme ce sera le cas dans le village
modèle, est
contraire à leur mode de vie traditionnel et
préféré. Un agriculteur a
déclaré
:
Ces maisons
dans un village modèle sont comme un camp. Je
préfère être tout seul dans ma
maison, plutôt que vivre avec d’autres. Je ne serai
plus libre comme avant. La
communauté préfère avoir une maison
par famille mais le gouvernement a refusé.
Nous ne pouvons pas être contre le gouvernement, alors nous
avons accepté, mais
ce n’est pas par notre propre volonté.
Des
résidents ont affirmé à Human Rights
Watch que la procédure d’expropriation
s’était déroulée dans un
contexte d’information insuffisante et
d’intimidation.
Plusieurs d’entre eux se sont plaints de n’avoir
pas pu exprimer leurs
objections. Un agriculteur a déclaré :
Personne ne
peut poser de questions au sujet de l’indemnisation ou des
problèmes concernant
le village modèle. Des parlementaires ont visité
notre village. Personne n’a
essayé de leur poser des questions car tout le monde sait
qu’ils seront chassés
du village s’ils en posent. Toute la population est
sérieusement intimidée.
Un autre
résident s’est plaint du responsable
chargé d’enregistrer les
propriétés :
Quand nous
lui demandons quelque chose, il répond sur un ton de
colère. Il nous intimide
et ne comprend pas. Il effectue les enregistrements tout seul et nous
donne
l’impression que cela ne nous concerne pas. […]
Quand je l’ai interrogé à
propos de quelque chose qui avait été dit lors
d’une réunion communautaire, il
a répondu : « Je ne vous ai pas dit de me
poser des questions. Vous ne
devriez pas écouter les autres. C’est moi qui vous
dirai ce qui va se passer.
»
Quand
Léonille Gasengayire, une jeune étudiante et
activiste née dans la région, a
été soupçonnée de
s’exprimer publiquement contre l’expropriation des
terres et
d’exiger des indemnisations équitables, lors
d’une réunion privée en août
2016,
les autorités l’ont arrêtée
et l’ont par la suite poursuivie en justice pour « provocation
au soulèvement ou aux troubles parmi la population »,
accusations qu’elle a
niées.
Plusieurs
résidents ont affirmé à Human Rights
Watch qu’ils avaient été contraints de
témoigner à charge contre Gasengayire. Ils ont
également affirmé que des
responsables gouvernementaux locaux avaient tenté
d’empêcher les témoins de la
défense d’assister à son
procès.
Un
résident
a affirmé qu’un responsable du gouvernement local
leur avait dit en janvier
2017 : « Personne n’a le droit
d’aller au tribunal pour être témoin de
la
défense pour Léonille [Gasengayire]. Si des gens
y vont, ils peuvent être tués
ou avoir des problèmes. » Un autre
résident a déclaré que le
même
responsable gouvernemental avait averti que les résidents ne
seraient pas
autorisés à retourner dans leur village
s’ils témoignaient en sa faveur.
Les
témoins
de la défense ont tout d’abord manqué
de comparaître durant le procès, qui a
été observé par Human Rights Watch,
mais ont témoigné par la suite.
Le nom de
Gasengayire a été
régulièrement cité lors des
réunions communautaires, dans un
effort visant à mettre en garde les résidents
contre l’idée de s’exprimer. Un
résident qui a participé à ces
réunions a déclaré :
Quand les
autorités viennent au village, elles disent : «
Vous avez vu l’exemple de
Léonille [Gasengayire]. Si vous refusez de faire ce que nous
voulons, vous
aurez le même sort qu’elle. Nous allons condamner
Léonille à 18 ans de prison.
» Léonille est devenue comme un refrain que
l’administration locale chante
devant la communauté.
Lors des
audiences préliminaires, Gasengayire a également
été accusée de faire la
promotion du parti politique d’opposition FDU-Inkingi.
Gasengayire est membre
de ce parti et avait été brièvement arrêtée
en mars 2016. Comme tous les partis
d’opposition sauf un au Rwanda, le FDU-Inkingi n’a
pas été en mesure de se
faire enregistrer en tant que parti. Même si la loi rwandaise
considère comme
un crime la « formation et direction d’une
formation politique contrairement
à la loi », Gasengayire n’a
pas été inculpée de cette infraction
et ses
activités politiques ne semblent pas avoir
constitué une violation de la loi du
Rwanda.
Le 23 mars
2017, le juge de la Haute cour, chambre de Rusizi, a rejeté
les dépositions des
témoins de l’accusation et des responsables
locaux, a acquitté Léonille et
ordonné sa remise en liberté, au bout de sept
mois de détention préventive.
Human Rights Watch a observé les procédures.
La maire du
district de Rutsiro a affirmé à Human Rights
Watch qu’elle n’était pas
informée
de l’existence de critiques au sujet des expropriations.
« Nous avons
organisé plusieurs réunions là-bas et
personne ne s’est plaint », a-t-elle
dit. « Peut-être que ces gens ne sont pas
satisfaits du montant [des
indemnisations], mais ils l’ont accepté. Il
n’y a pas eu de menaces. » Elle
s’est abstenue de tout commentaire sur
l’arrestation et la procédure judiciaire
à l’encontre de Gasengayire.