Le
pari risqué du Rwanda sur la route de la
prospérité
AFP
le 30/07/2017
Un policier
passe devant le dôme de Kigali illuminé aux
couleurs du pays le Rwanda, le 28
juillet 2017 ( AFP / MARCO LONGARI )
Au
troisième étage d'une galerie marchande flambant
neuve du centre de Kigali, quelques commerçants
désœuvrés discutent en ce mardi
matin, accoudés à une rambarde devant leurs
boutiques désertées par les
clients.
L'immeuble
aux vitres bleutées est un des nombreux bâtiments
ayant récemment transfiguré
le paysage de la capitale, et qui incarnent l'ambition rwandaise d'une
économie
de service portée par une classe moyenne prospère
et qualifiée, se substituant
à une nation encore majoritairement peuplée
d'agriculteurs pauvres.
Sauf que
cette vision est encore très lointaine, avec une classe
moyenne embryonnaire et
39% de la population qui vit avec moins de deux dollars par jour. Et
les
observateurs mettent en garde: le marché rwandais est
relativement petit et le
pari du développement agressif d'infrastructures
coûteuses - essentiellement
grâce à l'argent public - est risqué.
"La
ville se développe, c'est bien, mais nous, on a du mal, le
prix du loyer nous
anéantit", explique un vendeur de cosmétiques du
centre commercial,
inauguré il y a deux ans par le président Paul
Kagame. Le jeune homme de 24 ans
assure que deux de ses collègues ont fermé
boutique faute de clients tandis que
nombres d'emplacements restent vides.
A quelques
encablures, perché sur une colline et visible des quatre
coins de la capitale,
le Kigali Convention Center (KCC), un centre de conférence
de 2.600 places
inauguré en 2016, est le symbole de ce Rwanda qui ambitionne
de devenir un
centre névralgique régional du tourisme
d'affaires.
Parallèlement,
le gouvernement a massivement investi dans la compagnie Rwandair, qui
s'est
dotée en huit ans de 12 avions et dessert
désormais 22 destinations, dont
Londres, alors qu'au sud de la capitale, un nouvel aéroport
international
financé via un partenariat public-privé devrait
voir le jour fin 2018.
Ces
dernières années, plus de 4.500
kilomètres de câbles en fibre optique ont
été
déployés dans le pays.
- 'Trop
ambitieux' -
Afin de
devenir comme il le souhaite un pays à hauts revenus d'ici
2050, le Rwanda doit
notamment atteindre un rythme de croissance de 10% par an. Selon un
diplomate
occidental interrogé par l'AFP, le projet rwandais est "trop
ambitieux".
Un quartier
pauvre de Kigali, le 28 juillet 2017 ( AFP / MARCO LONGARI )
Après
avoir
avoisiné les 7% de croissance en moyenne sur les 20
dernières années,
l'économie rwandaise a ralenti cette année, la
faute à une stabilisation du
boom de la construction, de mauvaises récoltes et une
diminution des réserves
de devises due à une hausse des dépenses
publiques.
"Le
centre de conférence est le bâtiment le plus cher
d'Afrique", assure le
diplomate, selon lequel le coût total pourrait
dépasser les 800 millions de
dollars. "Beaucoup de conférences sont organisées
par le gouvernement
(...), ils ne gagnent donc pas vraiment d'argent".
Quant
à
Rwandair, ce diplomate le qualifie de "jouet coûteux" dans un
secteur
rarement rentable.
La
volonté
du Rwanda, dont le budget dépend pour environ 30% de l'aide
étrangère, de
"devenir un hub (...) ressemble à un pari très
courageux",
ajoute-t-il. "Nous ne voyons pas très bien (...)
d'où vont venir les
affaires".
- Etape par
étape -
Et pourtant,
les observateurs s'accordent à dire que le Rwanda, petit
pays enclavé de 12
millions d'habitants à la démographie galopante
et possédant peu de ressources
naturelles, n'a pas vraiment d'alternative.
Exsangue au
lendemain du génocide qui a fait environ 800.000 morts en
1994, le Rwanda s'est
taillé sur les vingt dernières années
une réputation de pays sûr, bien
géré et
peu corrompu. Le taux de pauvreté a
été réduit, les indicateurs de
santé sont
meilleurs et le Rwanda est après l'île Maurice le
pays africain le plus favorable
pour "faire des affaires", selon la Banque mondiale.
Dirigé
d'une
main de fer par M. Kagame -grand favori de la présidentielle
du 4 août -, le
Rwanda "mise sur son avantage comparatif. C'est risqué mais
je pense que
c'est la bonne stratégie", estime Alun Thomas, le
représentant du Fonds
monétaire international (FMI) au Rwanda.
Mais Claire
Akamanzi, directrice générale de l'Office
rwandais du développement (RDB)
estime, elle, que cette stratégie "n'est pas du tout
risquée" et
rappelle que les services représentent désormais
près de 45% du PIB. Selon
elle, le Rwanda est en train de créer "un environnement qui
encourage le
secteur privé à jouer un rôle
clé dans notre économie".
Une
intervention du secteur privé jugée cruciale par
M. Thomas, qui remarque certes
que la dette reste à un niveau tenable (moins de 50% du
PIB), mais que "le
secteur privé doit prendre le relais car ils ne peuvent pas
continuer à
emprunter comme ils l'ont fait par le passé".