Museveni applaudi au stade de Butare en... octobre 1986

 

Avant l’invasion du Rwanda, les réfugiés avaient mûri à la fois leurs plans d’attaque et leur stratégie de communication. Dès son accession au pouvoir, le président Museveni avait rendu visite au Rwanda en octobre 1986. Il avait tenté de convaincre les Rwandais qu’aucune attaque armée ne viendrait de l’Ouganda. Mais lorsqu’il prit la parole à Butare, il introduisit son discours par quelques mots en kinyankole, langue proche du kinyarwanda et dit, entre autres, ceci : umanyi Balinga, umanyi umuravunga, umanyi rwiziringa « connaissez-vous umuravunga, connaissez-vous rwiziringa, connaissez-vous Balinga ?: umuravunga, c’est une plante médicinale très amère, rwiziringa, c’est une sorte de liane qui s’enroule autour d’arbustes pour en étouffer la croissance, balinga c’est un fantôme. Voilà les trois images ou les trois façons choisies par le président Museveni pour renverser le régime Habyarimana : l’agression sera préparée de façon sournoise, elle sera foudroyante, et durera jusqu’à la chute du régime. Personne n’a pu décoder les paroles de Museveni.

 Dans la suite du discours, Museveni essaie de noyer les premières déclarations dans un discours lénifiant :


Recently there have been a lot of rumours circulated by people who are ignorant politically that the refugees of Rwanda in Uganda will use Uganda as a base to come and attack Rwanda. This is not possible and it will not happen and I’d like to assure all the people here that it will not happen at all.

(…) If you want to get them back, you can come and call them and they come back here. If you can’t have them back, they will stay in Uganda until we find another solution for them.
So there is no problem at all on that issue.


Ce n’est pas un mot d’amitié que la foule massée au stade de Butare a applaudi, mais une véritable déclaration de guerre contre elle-même.

Déjà une tentative d’attaque avait été faite quelques mois après la prise de Kampala. Depuis lors la préparation de la guerre va se faire plus sournoisement, mais les développements du processus de la démocratisation au Burundi et au Rwanda inquiétaient le FPR. En 1988, ils sont fins prêts et un effort particulier est apporté à la création de cellules clandestines au Rwanda même. Selon G. Prunier (1997) une quarantaine de « Brigades FPR » sont créées et les membres sont pratiquement tous tutsi. Au début de l’année 1989, un détachement de reconnaissance fut envoyé par le FPR pour préparer le terrain. Ils furent repérés par la population et ceci empêcha le démarrage immédiat d’une opération de grande envergure programmée par le FPR. De fait, les services rwandais de renseignement qui avaient infiltré le FPR savaient ce qui se tramait.

Le gouvernement rwandais l’avait signalé aux ambassades accréditées à Kigali, notamment celle des Etats-Unis et de la Belgique qui avaient tenu à rassurer les autorités rwandaises que selon leurs propres services de renseignement aucune attaque n’était en préparation. La suite de l’histoire révélera l’implication de ces deux pays dans le conflit qui allait ravager le Rwanda. D’autres pays comme l’Espagne, la France, l’Italie et la Russie vont signaler à Museveni qu’ils étaient au courant des préparatifs pour l’agression du Rwanda et lui indiqueront clairement qu’ils privilégiaient le retour pacifique des réfugiés plutôt qu’une guerre.

Extrait de Eugène Shimamungu (2004) Juvénal Habyarimana, l'homme assassiné le 6 avril 1994, Lille, Editions Sources du Nil