Le FPR est-il néo-féodal
?
(Musabyimana.be
03/12/2007)
Depuis sa prise de pouvoir au Rwanda en juillet 1994,
le FPR a instauré un système calqué sur le système féodal d’avant I959.
Il a « repris la lutte armée entamée par le Mouvement « Inyenzi
». Il en garde les relents par une sorte de‘‘revanche’’ qu’il veut imprimer à
toutes les actions qu’il entreprend dans la gestion du pays. La « reproduction
politique » de certaines époques glorieuses du pouvoir féodal, le recours aux
symboles d’un passé révolu (par exemples Nyanza ou Gasabo comme entités administratives, consécration de Nyirarumaga, personnage mythique, comme héros national pour
avoir sauvé la lignée royale en allant cacher un prince rwandais au Karagwe), la réécriture de l’histoire, la « tutsisation » de tous les secteurs de la vie nationale, en
sont des exemples frappants »[1].
Dans ce cadre, il a le monopole dans certains secteurs clés de la vie nationale
telle que l’armée : celle-ci compte 99,99 des officiers du FPR ainsi que 100%
des élèves dans les académies militaires à l’Etranger dont l’Ecole Royale
Militaire à Bruxelles (Belgique) ; les affaires ; les postes de direction à
différents niveaux dont les sociétés étatiques, etc.
Au niveau social, le FPR a institutionnalisé le système de la délation au
Rwanda. La fabrication de faux témoins est utilisée dans tous les tribunaux
dont les Gacaca pour faire condamner des innocents.
Ces deux phénomènes trouvent leurs racines dans la féodalité.
La réinstauration des corvées et des travaux forcés par le biais des TIG
(Travaux d’Intérêt Général), l’imposition des redevances de toutes sortes :
redevance de l’aménagement des imidugudu (villages),
redevances pour la sécurité locale (local defence),
redevances pour le FARG (Fonds d’aide aux Rescapés du génocide), etc., tout
cela sent les pratiques anciennes où le Hutu était « taillable et corvéable à
merci ».
Absence de justice
Du temps de la féodalité, le Roi et ses chefs avaient
droit de vie et de mort sur leurs sujets. Dans le « Nouveau Rwanda », au bas de
l’échelle, il suffit de se présenter comme membre du Local Defence,
pour envoyer quelqu’un en prison. Ne parlons pas des échelons supérieurs. Avoir
à faire à un officier ou un membre influent du FPR est problématique. Il y a
risque de disparition, d’assassinats ou de prison à vie par le truchement d’un
système judicaire sous la coupe du FPR. Les deux
grandes organisations mondiales de défense des droits de l’homme, Amnesty International et Human Rights Watch, ont publié
récemment, chacune de son côté, un communiqué pour fustiger cette absence d’un
minimum de justice au Rwanda.
Au lieu d’examiner le bien fondé de ces communiqués, le Procureur Général
Martin Ngoga s’est livrée aux dénégations qui frisent
l’irresponsabilité. En effet, ne sait-il pas que les Parquets dont il a la
charge sont en train d’appliquer une politique de chasse à l’homme, d’opérer
des emprisonnements arbitraires ; qu’il y a chaque jour des centaines de morts
en prison à cause de conditions inhumaines d’incarcération ; que des gens meurent
de suffocation dans des cachots ; que les tribunaux Gacaca
sont davantage politiques que judiciaires comme l’a fait remarquer
l’historienne Alison Des Forges[2].
Tout cela a été rendu possible par l’épuration éthnique
de la magistrature, pour y laisser des éléments acquis à la cause du FPR. Les hauts magistrats hutu ont été démis ou assassinés
: le Lieutenant Colonel Augustin Cyiza a été suspendu
de ses fonctions de président de la Cour de cassation depuis mars 1988 ; il a
échappé à un attentat en mars 1999, pour finalement disparaître dans les geôles
de la DMI ; le Président du Conseil d’Etat et Vice-Président
de la Cour suprême, Alype Nkundiyaremye
s’est exilé à Bruxelles en juin 1999 (aujourd’hui décédé) ; plus d’une
quinzaine de magistrats hutu ont été assassinés ou jetés en prison
arbitrairement. Parmi ceux qui ont été assassinés, on peut citer : Gratien Ruhorahoza, Vincent Nikuze,
Ladislas Mutabazi, Jean Damascène Munyansanga,
Floribert Habinshuti.
Aujourd’hui, la justice est composée à plus de 99 % de magistrats tutsi, ce qui
a fait dire aux deux chercheurs précités que : « Dans le système judiciaire
rwandais, ce sont des procureurs tutsi qui poursuivent des suspects hutu et ce
sont des magistrats tutsi qui les jugent »[3].
Cette politique de la criminalisation par la justice a été désapprouvée par
certains ministres de la justice et qui en ont payé un lourd tribut : Alphonse
Marie Nkubito a été dégommé, il est mort dans son lit
quelques mois après. Ce militant des droits de l’homme ne voulait pas couvrir
les massacres commis quotidiennement par les militaires du FPR dans la plus
grande impunité ; sa remplaçante Marthe Mukamurenzi
fut accusée de détournement de fonds, un prétexte sûrement pour s’en
débarrasser car elle aussi était pour une vraie justice ; elle est aujourd’hui
en exil ; Faustin Ntezilyayo a démissionné. Le
département a été confié finalement à de vrais membres du FPR, à savoir un
certain Jean de Dieu Mucyo puis Tharcisse
Karugarama.
Spoliation des terres.
Ces derniers temps il a été question au Rwanda de la spoliation des terres des
paysans par les plus haut officiers dont à la tête le général Paul Kagame. Celui-ci, pour se justifier, a prétendu, dans une
interview accordée aux journalistes mi-septembre 2007[4], que la propriété appartenait,
avant 1959, aux membres de sa famille, dont un aurait été chef de la région. Il
est connu que Kagamé n’est pas natif de Muhazi (Kibungo) mais bien de Gitarama. A
supposer que même son grand-père ait occupé la propriété, il ne l’a fait que
parce qu’il était chef. Dans le système féodal, les abus dans ce sens étaient
de règle. Le Père Pagès nous décrit comment cela se
passait : « Le prétexte le plus futile suffisait pour l’accaparement par le
chef de quelques propriétés. Il suffisait quelquefois que le maître d’un champ
de bananeraie aille s’engager pour un temps indéterminé en dehors du district
pour s’exposer à une expropriation. Le chef animé d’esprit de vengeance à
l’égard de l’absent, s’emparait de la propriété et cela malgré la présence de
la famille restée au logis sans réagir pour ne pas s’attirer des représailles.
(…)
A chaque femme et à chaque nouvel hôte, il fallait donner, cela va de soi, une
propriété, une bananeraie et des Hutu qui devaient travailler et construire
pour les nouveaux venus. Tel chef, fort de son autorité, sans y mettre aucune
forme et sans se soucier des coutumes traditionnelles, s’attribuait au milieu
d’une population dense, des centaines d’hectares de terre cultivée pour y créer
des pâturages et y installer de nombreuses concubines ».(…) [5]
Clientélisme.
Le système de clientélisme a été institutionnalisé au Rwanda. Que ce soit au
niveau de l’administration, des affaires, etc., rien ne peut se faire sans
avoir un parrain. Il faut faire allégeance à tel officier, à tel membre
influent du FPR. Les clans se sont constitués et
entretiennent des réseaux de courtisans jusqu’au plus bas échelon. Le journal
UMUSESO du 18 au 24 Novembre 2007 et paraissant à Kigali au Rwanda, décrit le
phénomène comme suit :
« L’histoire se répète vraiment. Dans le Rwanda monarchique, pour ce qu’on peut
appeler la politique économique, le Rwanda était caractérisé par la lutte pour
le favoritisme. Les Batutsi rivalisaient dans la
lutte pour les faveurs de chambellans en se mettant dans la bonne grâce du roi
et faisaient tout pour avoir beaucoup de serfs et de têtes de vaches (…)
L’histoire nous montre comment beaucoup de seigneurs guerriers intrépides sont
tombés dans des traquenards meurtriers leur tendus au cours des luttes
intestines pour gagner à qui mieux mieux les faveurs
du roi et entrer dans le pré carré de ce dernier. Il se jouait des intrigues
meurtrières pour accéder mieux que d’autres dans les bonnes grâces du roi.
D’autres mouraient dans les tentatives de déposséder de force un tel de ses troupeaux
de vache (…). Actuellement, sous le régime KAGAME et FPR, la politique prônée
semble aller droit dans temps monarchiques (…)
La guerre des favoris bat son plein.
Elle a commencé à pas
feutrés. Mais avec son évolution actuelle, tout citoyen rwandais peut analyser
la politique et l’économie rwandaises au fil des années depuis 1994 avec la
prise du pouvoir par le FPR (…) Quand bien même on ne le dit pas tout haut, pas
mal de Rwandais savent bien qu’il a été des groupes puissants qui dirigeaient
le pays. Il fut le groupe des KAYUMBA NYAMWASA (général, ancien chef d’Etat
Major), Patrick MAZIMPAKA (actuel Vice-président de l’Union Africaine), Pierre
KAREMERA (Colonel, ancien ministre de l’Education et actuellement sénateur) et Aloysie INYUMBA (sénatrice, ancienne
ministre du genre). Puis, il est apparu en force le groupe de Théogène RUDASINGWA (ancien Secrétaire général du FPR puis
Directeur de Cabinet à la Présidence de la république), GAHIMA Gérard (ancien
Procureur général de la République). Puis il est aussi apparu le groupe POLISI
Denis (Vice-président de la Chambre des Députés) et Charles MULIGANDE (Ministre
des Affaires étrangères).
Actuellement, une guerre froide oppose deux
groupes dans lesquels se retrouvent rangés tous les adhérents au FPR ; il s’agit
du groupe de MUSONI James (Ministre des Finances) et celui du colonel Dr
Emmanuel NDAHIRO (chargé des renseignements et intelligence). Autant ils se
sont succédés dans les faveurs de KAGAME, autant ils avaient sous leurs grâces
tout un monde de gens en quête de faveurs qui cherchaient bonheur et
protection. (…) Sous cette forme, on trouve que le Rwanda et le FPR forment une
parfaite monarchie. Le FPR gère un patrimoine connu et inconnu de beaucoup de
gens tel les gros trusts TRISTAR, PRIME HOLDING, HORIZON… Pour ce qui est du
Rwanda qui est régulé par une Constitution qui a intronisé la République, les
institutions Président de la République, l’Exécutif, le Législatif, le
Judiciaire et le multipartisme ; toutes devaient être dotés de pouvoirs
(autonomes) complémentaires. Malheureusement cela n’est que dans les textes de
lois et dans le verbe alors qu’en réalité, la gestion du pays n’est que
monarchique (…) »[6].
Des exemples peuvent être multipliés pour démontrer ce phénomène. F. Rudakemwa a raison quand il écrit : «La situation
sociopolitique qui règne aujourd’hui au Rwanda ressemble étrangement à celle
qui y prévalait à la veille de la révolution sociale de novembre 1959 »[7].
©Gaspard Musabyimana, le 01/12/2007, www.musabyimana.be
Illustration de certains aspects de la féodalité par des images
Kwicara ku tw'abakamyiAprès avoir parcouru des distances avec une
cruche de vin de bananes pour aller amadouer le chef, celui-ci ne tenait pas
compte de la fatigue de son sujet qui devait se tenir dans une position comme
quelqu’un en train de traire la vache (Ku tw'abakamyi) pour permettre à l'autre de boire aisément
avec le chalumeau.
Un exemple d’une illustration de corvées.
A chaque récolte, les serfs devaient donner des redevances au seigneur.
Le Roi comme ses chefs, devaient être transportés dans leurs déplacements à
travers le pays.
Transport dans un hamac
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[1] Reyntjens F. et Parqué V, « La diplomatie belge
face aux crises rwandaises (1990-1999) », pp. 237-245, La Belgique et l’Afrique
centrale. De 1960 à nos jours, sous la direction Olivier Lanotte,
Claude Roosens et Cathy Clément, Bruxelles, Coédition
GRIP-Editions du Complexe., 2000, p. 244.
[2] Critiques sur le fonctionnement des Gacaca lors
d’un colloque à Bruxelles, Fondation Hirondelle, Bruxelles, 27 novembre 2007.
[3] Reyntjens F. et Parqué V, op.cit, p. 244.
[4] The New Times du 12 septembre 2007.
[5] A. Pagès, Quelques abus du système féodal, Revue
Congo, 1936.
[6] Les Points Focaux, La revue hebdomadaire de la presse rwandaise, N° 305 du
16 au 23 Novembre 2007.
[7] F. Rudakemwa, Les mêmes causes produisent les
mêmes effets, Rome (Italie), le 27/09/2OO7 (www.musabyimana.be).
Dernière mise à jour : ( 02-12-2007 )
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