Les
Leaders Bahutu ont accompli un travail louable.
« Plus
on connaitra
l’Histoire, plus le ressentiment
s’effacera »
(Marc Ferro)
« La
note sur l’aspect social du problème racial
indigène » dit
« Manifeste
des Bahutu » est l’un de ces documents
d’une valeur historique inestimable
que personne ne devrait ni commenter, ni interpréter, et
encore moins résumer
sans courir le risque de les appauvrir. Tous devraient plutôt
le lire, quitte à
participer à un débat qui serait
structuré comme suit :
*Rwanda
politique, documents
présentés par F. Nkundabagenzi,
C.R.I.S.P.,
Bruxelles, 1962, pp.
20-29.
Cette
compilation
de F. Nkundabagenzi a l’avantage de publier dans les pages
directement
suivantes des interventions jusqu’ici peu connues du public,
qui abondent dans
le sens du manifeste et l’explicitent en quelque sorte. Il
s’agit des écrits
d’Aloys Munyangaju, alors haut cadre du parti APROSOMA
(Association pour la
promotion sociale de la masse) et de Gaspard Cyimana, alors
étudiant à
l’université catholique de Louvain et futur jeune
ministre des finances et de
l’économie dans le premier gouvernement du Rwanda
indépendant.
Les
écrits d’Aloys Munyangaju
s’intitulent : “ Commentaire au
manifeste des Bahutu” et “Aspects
des problèmes importants au Rwanda-Burundi”.
Ceux de Gaspard
Cyimana portent comme titres : “Plaidoyer
pour le menu peuple au Rwanda-Burundi”
et “Préalables
à l’indépendance du Rwanda-Burundi”
I°. Le
contexte du document
En
1952, la tutelle belge annonce la
préparation d’un plan décennal de
développement du Rwanda-Urundi en vue d’une
indépendance qui pourrait survenir à plus ou
moins longue échéance. Au Rwanda,
une élite hutu déjà existante
élève la voix pour dire que le
développement ne
devrait pas se limiter au seul aspect matériel,
infrastructure et économique,
mais qu’il devrait couvrir aussi l’aspect social et
politique. C’est-à-dire
qu’il fallait plus de justice sociale et de
démocratie dans la gestion du
patrimoine commun. Ils aiguillonnent le problème dans
certains périodiques
comme :
*Kinyamateka
de
la mission
catholique.
*L’Ami
des anciens du séminaire.
*Kurerera
Imana (éduquer pour Dieu
–ou
à la place de Dieu-) des moniteurs.
*Ijwi
rya
Rubanda
Rugufi
(
*SOMA
(Lis) édité
à Cyangugu.
Dans
les pays limitrophes, la presse si florissante
au Rwanda était relayée par deux journaux
publiés en français :
*Presse
Africaine,
édité à
Constermansville (actuelle Bukavu), et
*Temps
Nouveaux d’Afrique
édité à
Bujumbura.
“Si
une seule personne rêve, son rêve
n’est rien d’autre qu’un rêve ;
si par contre plusieurs personnes rêvent
ensemble, nous sommes alors à l’aube
d’une nouvelle réalité”
disait
Mgr Helder
Camara.
Tandis
que la plupart des missionnaires
et des agents coloniaux étaient attentifs à cet
éveil des mentalités, la
plupart des membres de l’oligarchie
féodo-monarchique tutsi n’y prêtaient
aucune attention. « Les meilleures
protestations, disaient-ils, n’empêchent
pas à la vie de poursuivre son cours ».
Après tout, « Les chiens aboient et la
caravane passe ».
Ils étalaient ce mépris dans “Servir”,
périodique des “Indatwa”
(“nobles”
ou “motifs
de fierté, d’orgueil”,
fils de la noblesse formés
au groupe scolaire d’Astrida, établissement
secondaire réservé à eux seuls et
comprenant cinq sections : agronomie, administration,
secrétariat, art
vétérinaire, médecine humaine
(assistants médicaux).
Le
roi et son CSP ont sous-estimé les revendications de Bahutu.
Quand ils ont compris, c'était trop tard !
Quand
nos aristocrates se rendirent
compte que le mépris, le dédain et
l’arrogance ne suffisaient pas à faire taire
les manants, ils commencèrent à recourir
à l’intimidation dans les faits et par
des écrits. C’est en réponse
à l’un de ces écrits
intitulé « Mise au point »
émanant du
noyau dur du conseil supérieur du pays (C.S.P)
qu’un groupe de neuf leaders
Bahutu produisit « La note
sur
l’aspect social du problème racial
indigène »
à laquelle
la presse donna le nom de « Manifeste des Bahutu ».
C’était là une façon de dire
que la « Mise au point »
était quant à lui un « Manifeste
des Batutsi ». Le
combat commençait à se dérouler
à
visières levées et à visages
découverts.
II.
Le contenu du manifeste
Le
document est composé d’une
introduction, de trois chapitres et d’une conclusion.
*L’introduction
montre
combien “il
ne servirait… à rien de durable de solutionner
le problème mututsi-belge si on laisse le
problème muhutu-mututsi”,
que les autorités traditionnelles cherchent à
occulter.
*Le
premier chapitre
réfute
les
objections avancées en général dans la
société rwandaise pour freiner la
promotion des Bahutu.
Aujourd'hui
comme hier, les injustices envers le menu peuple sont
trop criantes
Le
plus abject de ces prétextes est leur
infériorité naturelle et leur
incapacité
innée à assumer des
responsabilités.
*Au
second chapitre,
les auteurs
expliquent “en
quoi consiste le problème
racial indigène”. Il se
résume en un quadruple monopole :
politique, économique, social et culturel. Ce monopole,
disent-ils, est à
l’origine des autres abus dont se lamente la population,
à savoir : le travail
servile, les exactions, les spoliations et les concussions.
*En
un troisième chapitre,
le plus long
(la moitié du document), les auteurs proposent des solutions
immédiates
touchant à tous les domaines ci-haut
évoqués.
*La
conclusion consiste
évidemment à demander à la tutelle
belge et à l’autorité
indigène de prêter
toute l’attention voulue aux revendications
exprimées dans le document.
Le
style du document est modéré,
pondéré
et digne des revendications qu’il exprime. Il tranche
nettement avec celui
employé par les auteurs de la « Mise
au point », trop
sûrs d’eux-mêmes, menaçants et
arrogants. A
la fin de la lettre qui accompagne le document (Le Manifeste), les
auteurs
disent : “Nous
aurions pu trouver pour
cette note plus d’un million de signatures, mais nous pensons
qu’une
manifestation de ce genre n’est pas nécessaire, du
moins pour le moment”.
III.
L’auteur et le
destinataire du document
Les
auteurs du document sont ceux-là
mêmes qui l’ont signé, à
savoir : Maximilien Niyonzima, Grégoire
Kayibanda, Claver Ndahayo, Isidore Nzeyimana, Calliope Mulindahabi,
Godefroid
Sentama, Sylvestre Munyambonera, Joseph Sibomana et Joseph Habyarimana
Gitera.
Accompagnée d’une lettre de transmission, le
document est officiellement
adressé au Gouverneur du Rwanda-Urundi pour qu’il
veuille bien tenir compte de
l’urgence des problèmes qui y étaient
exposés, ainsi que de la volonté
constructive qui l’inspirait. Une copie fut
envoyée au conseil supérieur du
pays (C.S.P) afin que celui-ci pût en débattre.
« À
son arrivée au Rwanda en septembre 1957,
IV.
Les
réactions
qu’il a suscitées à
l’époque
Il
n’y a aucune catégorie
socioprofessionnelle dont on puisse dire que tous ses membres ont
adhéré en
bloc à la cause des Bahutu. Le haut représentant
de
Les
missions protestantes dans leur
ensemble, et surtout la mission anglicane, jalouses des immenses
progrès d’une
mission catholique censée avoir des atomes crochus avec les
Bahutu, soutenaient
l’oligarchie tutsi. Une distinction
s’impose au sein de la mission
catholique. Son clergé comprenait :
*Des
missionnaires expatriés. Pères
Blancs en majorité, ils étaient pour la plupart
favorables à l’avènement
d’une
ère de plus de justice et de démocratie dans la
société rwandaise.
*Le
clergé indigène. A quelques
exceptions près, les prêtres Bahutu
étaient favorables à un changement
pacifique de la situation. Certains prêtres Batutsi comme Mgr
Aloys Bigirumwami
(noble parmi les nobles), les Abbés Alexis Kagame (confident
du roi Rudahigwa
et précepteur du prince héritier Ndahindurwa) et
Stanislas Bushayija (membre du
C.S.P) étaient au départ
modérés. D’autres prêtres
Batutsi, c’est le cas de le
dire, étaient vraiment extrémistes, au
même titre que les membres du noyau dur
du C.S.P dont nous allons parler au paragraphe suivant.
*Les
Frères Joséphites et les Sœurs
Benebikira, presque tous de l’ethnie des Batutsi,
accueillaient mal tout ce qui
ressemblait à un changement du statu quo sociopolitique
traditionnel.
Le
C.S.P, le milieu de la cour et de la
noblesse comprenaient des éléments clairvoyants
comme Alexis Karekezi de Kabuye
(près de Kigali), Prosper Bwanakweri (chef du Kabagari, puis
de Kibuye où il
alla par mutation disciplinaire pour divergences de vue et altercations
avec le
roi Rudahigwa) qui comprenaient le bien fondé et la justesse
des revendications
des Bahutu. A côté de ces colombes, il y avait des
faucons qui se disaient
« nationalistes », mais
d’un « nationalisme »
qui n’avait
rien à envier à celui des Nazis de Hitler. Leur
idéologie se trouve dans divers
écrits comme le manifeste de l’UNAR
(Union nationale Rwandaise) et divers autres communiqués du
parti, mais aussi
et surtout dans les deux fameuses lettres
des grands serviteurs de la cour au C.S.P
datées respectivement
du 17 et du 18 mai 1958. Ce sont ces faucons qui donneront une tournure
violente à la marche du Rwanda vers la démocratie
et l’indépendance. Ce sont
eux qui, s’étant donné le nom d’Inyenzi,
mèneront des attaques terroristes aux frontières
du territoire rwandais de 1960
à 1967, c’est leur idéologie qui fut
à la base de l’attaque du Rwanda par le
FPR-Inkotanyi (initialement
appelé
RANU !) à partir de
l’Ouganda le 1 octobre 1990.
V.
Les
réactions que
sa lecture suscite aujourd’hui
Les
leaders doivent oser dénoncer et corriger les injustices
insupportables du pouvoir actuel du FPR.
Le
manifeste reste d’actualité. En effet,
avec la victoire à