LETTRE
OUVERTE À PAUL KAGAME : MONSIEUR
LE PRÉSIDENT, « VOTRE ENTOURAGE NE VOUS
DIT PAS LA VÉRITÉ DE PEUR DE VOUS
DÉPLAIRE ».
Publié
le 31 Juil 2017 par Gaspard
Musabyimana
Le
texte ci-après a
été adapté à partir
d’une lettre que
Fénelon (1651-1715),
homme
d’Église, théologien et écrivain français,
a
écrite au Roi Louis XIV, entre 1691 et 1695.
« C’est par un souci de
servir le roi et la haute mission qu’il doit accomplir, que
Fénelon dénonce le
risque qu’il encourt de se laisser prendre à
l’illusion naissant de l’exercice
du pouvoir lui-même. Cette illusion est
précisément de confondre ses
propres intérêts,
c’est-à-dire des intérêts de
situation, avec l’intérêt du
peuple lui-même, et pire encore de faire passer les uns pour
l’autre ». « La
fonction royale est le plus difficile des
métiers, la plus ardue de toutes les fonctions
d’autorité. Le privilège de
cette fonction ne libère pas celui qui l’exerce
des règles communes de la
morale, ou des principes du droit des gens ».
En opérant quelques adaptations, notamment en
remplaçant les mots
‘‘Sire’’ (sa
Majesté le Roi) par les mots
‘‘président Paul
Kagame’’, et
‘‘France’’ par
‘‘Rwanda’’, le message contenu
dans cette lettre est plus que jamais
d’actualité.
Monsieur
le Président,
La
personne qui
prend la liberté de vous
écrire cette lettre, n’a aucun
intérêt en
ce monde. Elle ne l’écrit ni par chagrin, ni par
ambition, ni par envie de se
mêler des grandes affaires. Elle vous aime sans
être connue de vous ; elle
regarde Dieu en votre personne. Avec toute votre puissance, vous ne
pouvez lui donner
aucun bien qu’elle désire, et il n’y a
aucun mal qu’elle ne souffrît de bon
cœur pour vous faire connaître les
vérités nécessaires à votre
salut. Si elle
vous parle fortement, n’en soyez pas
étonné, c’est que la
vérité est libre et
forte. Vous n’êtes guère
accoutumé à l’entendre. Les gens
accoutumés à être
flattés prennent aisément pour chagrin, pour
âpreté et pour excès, ce qui
n’est
que la vérité toute pure. C’est la
trahir que de ne vous la montrer pas dans
toute son étendue. Dieu est témoin que la
personne qui vous parle le fait avec
un cœur plein de zèle, de respect, de
fidélité et d’attendrissement sur tout
ce
qui regarde votre véritable intérêt.
Monsieur
le Président,
Vous
êtes né avec un
cœur droit et équitable; mais ceux qui vous ont
élevé ne vous ont donné pour
science de gouverner que la défiance, la jalousie,
l’éloignement de la vertu,
la crainte de tout mérite éclatant, le
goût des hommes souples et rampants, la
hauteur et l’attention à votre seul
intérêt.
Fénélon
Depuis
une vingtaine
d’années, vos principaux ministres ont
ébranlé et renversé toutes les
anciennes
maximes de l’État, pour faire monter
jusqu’au comble votre autorité qui
était
devenue la leur parce qu’elle était dans
leurs mains. On n’a plus parlé
de l’État ni des règles ; on
n’a parlé que du Président et de son
bon plaisir.
On a poussé vos revenus et vos dépenses
à l’infini. On vous a élevé
jusqu’au
ciel, pour avoir effacé, disait-on, la grandeur de tous vos
prédécesseurs
ensemble, c’est-à-dire pour avoir appauvri le
Rwanda entier afin d’introduire à
la cour un luxe monstrueux et incurable. Ils ont voulu vous
élever sur les
ruines de toutes les conditions de l’État, comme
si vous pouviez être grand en
ruinant tous vos sujets, sur qui votre grandeur est fondée.
Il est vrai que
vous avez été jaloux de
l’autorité, peut-être même
trop, dans les choses
extérieures ; mais, pour le fond, chaque ministre a
été le maître dans
l’étendue de son administration.
Vous
avez cru
gouverner, parce que vous avez réglé les limites
entre ceux qui gouvernent. Ils
ont bien montré au public leur puissance, et on ne
l’a pas trop sentie.
Ils ont été durs, hautains, injustes, violents,
de mauvaise foi. Ils n’ont
connu d’autre règle, ni pour
l’administration du dedans de l’État, ni
pour les
négociations étrangères, que de
menacer, que d’écraser, que
d’anéantir tout ce
qui leur résistait. Ils ne vous ont parlé que
pour écarter de vous tout mérite
qui pouvait leur faire ombrage. Ils vous ont accoutumé
à recevoir sans cesse
des louanges outrées qui vont jusqu’à
l’idolâtrie, et que vous auriez dû, pour
votre honneur, rejeter avec indignation. On a rendu votre nom odieux,
et toute
la nation rwandaise insupportable à tous nos voisins.
[…]
James Kabarebe
décorant Paul Kagame
On
a causé depuis plus
de vingt ans des guerres sanglantes. Par exemple, on fit entreprendre
à Votre
Excellence, en 1996, la guerre de la République
Démocratique du Congo (RDC)
pour votre gloire et votre cupidité. Je cite en particulier
cette guerre, parce
qu’elle a été la source de toutes les
autres. Elle n’a eu pour fondement qu’un
motif de gloire et de vengeance, ce qui ne peut jamais rendre une
guerre juste
; d’où il s’ensuit que toutes les
frontières que vous avez étendues par cette
guerre, sont injustement acquises dans l’origine. Il
est vrai,
Excellence, que les traités de paix subséquents
semblent couvrir et réparer
cette injustice, puisqu’ils vous ont donné les
places conquises ; mais une
guerre injuste n’en est pas moins injuste, pour
être heureuse. Les traités de
paix signés par les vaincus ne sont point signés
librement. On signe
le couteau sur la gorge ; on signe
malgré soi, pour éviter de
plus grandes pertes ; on signe comme on donne sa bourse quand il la
faut donner
ou mourir. Il faut donc, Excellence, remonter
jusqu’à cette origine de la
guerre de la RDC, pour examiner devant Dieu toutes vos
conquêtes.
Il
est inutile de dire
qu’elles étaient nécessaires
à votre État : le bien d’autrui ne nous
est jamais
nécessaire. Ce qui nous est véritablement
nécessaire, c’est d’observer une
exacte justice. Il ne faut pas même prétendre que
vous soyez en droit de
retenir toujours certaines places, parce qu’elles servent
à la sûreté de vos
frontières. C’est à vous à
chercher cette sûreté par de bonnes alliances, par
votre modération, ou par des places que vous pouvez
fortifier derrière ;
mais enfin, le besoin de veiller à notre
sûreté ne nous donne jamais un titre
de prendre la terre de notre voisin. Consultez là-dessus des
gens instruits et
droits ; ils vous diront que ce que j’avance est clair comme
le jour.
En
voilà assez,
Excellence, pour reconnaître que vous avez passé
votre vie entière hors du
chemin de la vérité et de la justice,
et par conséquent hors de celui de
l’Évangile. Tant de troubles affreux qui ont
désolé toute la région des Grands
Lacs africains depuis plus de vingt ans, tant de sang
répandu, tant de
scandales commis, tant de provinces saccagées, tant de
villes et de villages
mis en cendres, sont les funestes suites de cette guerre de 1995,
entreprise
pour votre gloire et pour la confusion des faiseurs de gazettes et de
médailles
de la RDC. Examinez, sans vous flatter, avec des gens de bien si vous
pouvez
garder tout ce que vous possédez en conséquence
des traités auxquels vous avez
réduit vos ennemis par une guerre si mal fondée
[…].
Cependant
vos peuples,
que vous devriez aimer comme vos enfants, et qui ont
été jusqu’ici si
passionnés pour vous, meurent de faim. La culture des terres
est presque
abandonnée ; les villes et la campagne se
dépeuplent ; tous les métiers
languissent et ne nourrissent plus les ouvriers. Tout commerce est
anéanti. Par
conséquent, vous avez détruit la
moitié des forces réelles du dedans de votre
État, pour faire et pour défendre de vaines
conquêtes au dehors. Au lieu de
tirer de l’argent de ce pauvre peuple, il faudrait
lui faire l’aumône et
le nourrir. Le Rwanda entière n’est plus
qu’un grand hôpital désolé et
sans
provision. Les magistrats sont avilis et épuisés.
[…]. Vous êtes importuné de
la foule des gens qui demandent et qui murmurent. C’est
vous-même, Monsieur le
Président, qui vous êtes attiré tous
ces embarras ; car, tout le pays ayant été
ruiné, vous avez tout entre vos mains, et personne ne peut
plus vivre que de
vos dons. Voilà ce grand pays si florissant sous un
président qu’on nous
dépeint tous les jours comme les délices du
peuple, et qui le serait en effet
si les conseils flatteurs ne l’avaient point
empoisonné.
Ngarambe en chapeau de cow-boy
et Paul Kagame
Le
peuple même (il
faut tout dire), qui vous a tant aimé, qui a eu tant de
confiance en vous,
commence à perdre l’amitié, la
confiance, et même le respect. Vos victoires et
vos conquêtes ne le réjouissent plus ; il est
plein d’aigreur et de désespoir.
La sédition s’allume peu à peu de
toutes parts. Ils croient que vous n’avez aucune
pitié de leurs maux, que vous n’aimez que votre
autorité et votre gloire. Si le
président, dit-on, avait un cœur de
père pour son peuple, ne mettrait-il pas
plutôt sa gloire à leur donner du pain, et
à les faire respirer après tant de
maux, qu’à garder quelques places de la
frontière, qui causent la guerre ?
Quelle réponse à cela, Excellence ? Les
émotions populaires, qui étaient
inconnues depuis si longtemps, deviennent fréquentes.
[…] Vous êtes réduit à la
honteuse et déplorable extrémité,
[…] de faire massacrer avec inhumanité des
peuples que vous mettez au désespoir en leur arrachant, par
vos impôts […] et
autres cotisations, le pain qu’ils tâchent de
gagner à la sueur de leurs
visages.
Mais,
pendant
qu’ils manquent de pain,
vous manquez vous-même
d’argent, et vous ne voulez pas voir
l’extrémité où vous
êtes réduit.
Parce que vous avez toujours été heureux, vous ne
pouvez vous imaginer que vous
cessiez jamais de l’être. Vous craignez
d’ouvrir les yeux ; vous craignez
d’être réduit à rabattre
quelque chose de votre gloire. Cette gloire, qui
endurcit votre cœur, vous est plus chère que la
justice, que votre propre
repos, que la conservation de vos peuples, qui périssent
tous les jours de
maladies causées par la famine, enfin que votre
salut éternel
incompatible avec cette idole de gloire.
Voilà,
Monsieur le
Président, l’état où vous
êtes. Vous vivez comme ayant un bandeau fatal sur les
yeux ; vous vous flattez sur les succès journaliers, qui ne
décident rien, et
vous n’envisagez point d’une vue
générale le gros des affaires, qui tombe
insensiblement sans ressource. […].
Paul Kagame et Andrew Mwenda
Tout
le monde le voit
et personne n’ose vous le faire voir. Vous le verrez
peut-être trop tard. Le
vrai courage consiste à ne se point flatter, et à
prendre un parti
ferme sur la nécessité. Vous ne
prêtez volontiers l’oreille,
Monsieur le Président, qu’à ceux qui
vous flattent de vaines espérances. Les gens
que vous estimez les plus solides sont ceux que vous craignez et que
vous
évitez le plus. Il faudrait aller au devant de la
vérité, puisque vous êtes
président, presser les gens de vous la dire sans
adoucissement, et encourager
ceux qui sont trop timides. Tout au contraire, vous ne cherchez
qu’à ne point
approfondir ; mais Dieu saura bien enfin lever le voile qui vous couvre
les
yeux, et vous montrer ce que vous évitez de voir. Il y a
longtemps qu’il tient
son bras levé sur vous ; mais il est lent à vous
frapper, parce qu’il a pitié
d’un président qui a été
toute sa vie obsédé de flatteurs, et parce que,
d’ailleurs, vos ennemis sont aussi les siens. Mais il saura
bien séparer sa
cause juste d’avec la vôtre, qui ne l’est
pas, et vous humilier […].Votre
religion ne consiste qu’en superstitions, en petites
pratiques
superficielles. […] Vous êtes scrupuleux
sur des bagatelles, et endurci
sur des maux terribles. Vous n’aimez que votre gloire et
votre commodité. Vous
rapportez tout à vous, comme si vous étiez le
Dieu de la terre, et que tout le
reste n’eût été
créé que pour vous être
sacrifié. […].
On
avait espéré,
Excellence, que votre conseil vous tirerait de ce chemin si
égaré ; mais votre
conseil n’a ni force ni vigueur pour le bien. Du moins Tite
Rutaremara,
François Ngarambe, James Kabarebe, James Musoni, Louise
Mushikiwabo, Ange et
Jeannette Kagame,…Andrew Mwenda,…, devaient-ils
se servir de votre confiance en
eux pour vous détromper ; mais leur faiblesse et leur
timidité les déshonorent
et scandalisent tout le monde. Le Rwanda est aux abois ;
qu’attendent-ils pour
vous parler franchement? Que tout soit perdu ? Craignent-ils de vous
déplaire?
Ils ne vous aiment donc pas, car il faut être prêt
à fâcher ceux qu’on aime,
plutôt que de les flatter ou de les trahir par son silence.
À quoi sont-ils
bons, s’ils ne vous montrent pas que vous devez restituer les
biens qui ne sont
pas à vous, préférer la vie de vos
peuples à une fausse gloire, réparer les
maux que vous avez faits à l’Église, et
songer à devenir un vrai chrétien avant
que la mort vous surprenne ?
Je
sais bien que,
quand on parle avec cette liberté chrétienne, on
court risque de perdre votre
faveur ; mais votre faveur leur est-elle plus chère que
votre salut? Je sais
bien aussi qu’on doit vous plaindre, vous consoler, vous
soulager, vous parler
avec zèle, douceur et respect; mais enfin il faut dire la
vérité. Malheur,
malheur à eux s’ils ne la disent pas, et malheur
à vous si vous n’êtes pas
digne de l’entendre ! Il est honteux qu’ils aient
votre confiance sans fruit
depuis tant de temps. C’est à eux à se
retirer si vous êtes trop ombrageux et
si vous ne voulez que des flatteurs autour de vous. Vous demanderez
peut-être,
Excellence, qu’est-ce qu’ils doivent vous dire ; le
voici : ils doivent vous
représenter qu’il faut vous humilier sous la
puissante main de Dieu, si vous ne
voulez qu’il vous humilie ; qu’il faut demander la
paix, et expier par cette
honte toute la gloire dont vous avez fait votre
idole ; qu’il faut
rejeter les conseils injustes des politiques flatteurs […]
La personne qui vous
dit ces vérités, Monsieur le
Président, bien loin d’être
contraire à vos
intérêts, donnerait sa vie pour vous
voir tel que Dieu vous
veut, et elle ne cesse de prier pour vous.
Texte
présenté par Jules Munyensanga.