Rwanda
1964: Message du President Gregoire
Kayibanda aux réfugiés rwandais - mars 1964
Tel que publié dans : RWANDA CARREFOUR D'AFRIQUE N° 31, MARS 1964
Mes chers Rwandais et Rwandaises réfugiés,
Au-dessus des soucis que la folie de certains d'entre vous me cause, quand, par
des menées terroristes organisées de l'étranger, ils troublent leurs frères qui
vivent en paix dans notre Rwanda démocratique et indépendant ;
Au-dessus de l'affliction que la malhonnêteté de certains d'entre
vous Nous a causée en Nous traitant de génocide ;
Au-dessus de la peine que nous avons éprouvée lorsque des gens peut-être bien
intentionnés ont mis à la disposition de vos manœuvres calomniatrices les
instruments les plus modernes d'information ;
En dépit de tout cela nous avons estimé utile de vous adresser un salut
fraternel, avec, avec l'espoir que beaucoup d'entre vous l'entendront.
Comment du Rwanda voyons-nous votre attitude dans son ensemble ? Comment le
Rwanda juge-t-il vos comportements ? Quelle est surtout notre attitude à votre
égard : trois questions au sujet desquelles je vais vous donner le point de vue
de la République.
1. Certains d'entre vous en grand nombre ne demandent que la tranquillité pour
se faire à leur état nouveau à l'étranger, s'installer et chercher des moyens
pour faire vivre honorablement leur famille. Ils sont raisonnables et ce sont
ceux-là que nous n'avons cessé d'inviter à rentrer au pays s'ils le veulent.
Certains d'entre vous ne se font pas à la vie à l'étranger et désireraient rentrer
si l'atmosphère où ils vivent s'y prêtait. Nous sommes à leur disposition pour
leur faciliter le retour pour autant que leurs démarches ne soient intégrées
dans les menées subversives et terroristes comme celles de décembre dernier.
Nous savons que la plupart des membres de ces deux groupes sont partis en
panique, d'autres sous la pression de sollicitations dont ils n'ont pu mesurer
à temps le caractère mensonger et inhumain.
Nous savons aussi que les Bureaux régionaux du Haut Commissariat aux Réfugiés
sont prêts à vous aider pour nous faire parvenir les données pratiques
susceptibles d'aider nos services à adapter notre dispositif d'accueil.
2. Un petit nombre d'entre vous sont des fanatiques et ne peuvent pas mesurer
les grands pas qu'a réalisés l'histoire du Rwanda et de l'Afrique depuis les
derniers trois ans.
Ces féodaux impénitents se livrent à une propagande qui tend à convaincre que
le régime mwami pourra être réinstauré : grave et si
grave que non seulement le régime mwami est condamné
définitivement, mais encore ceux qui, dans un aveuglement inouï persistent à «
combattre pour le mwami » se condamnent à périr
eux-mêmes.
Ces féodaux impénitents se livrent à des tromperies destinées à leur faire
donner des sommes d'argent énormes soit-disant pour
aider la cause prétendue nationaliste ou humanitaire et cet argent au lieu
d'être utilisé à faire vivre les réfugiés, est employé à l'achat d'armes
automatiques qui ne vaincront jamais une armée régulière et soucieuse du
progrès du bien commun de la République.
Ces meneurs, dont mieux que moi vous connaissez la ruse et l'incivisme, vous
font participer à des opérations qu'en démocratie vous condamneriez, et contre
lesquelles vous pourriez réagir efficacement ; ils vous rendent des instruments
d'un néocolonialisme qui prétend occuper la place laissée par les
administrations coloniales d'antan. Vos peines dans les menées terroristes
servent en réalité un néocolonialisme que l'Afrique condamne.
Les vies humaines qui, malgré notre vigilance, ont péri par terrorisme, ne
gagnent rien à être couvertes par les bruits de vos calomnies à l'égard du
Gouvernement de la République. Qui est génocide ? Posez-vous honnêtement la
question et répondez-y du fond de votre conscience.
Les Tutsis restés au Pays qui ont peur d'une fureur populaire que font naître
vos incursions sont-ils heureux de vos comportements ?
Qui est génocide ? Ceux qui vous appuient et financent vos menées terroristes
et fratricides vous rappellent-ils aussi que les Bahutu
ne se laisseront jamais malmener et qu'à vos coups ils n'entendent pas du tout
opposer un héroïsme qui serait d'ailleurs de mauvais aloi ? Qui est génocide ?
D'où viennent les armes que vous employez à terroriser vos frères des
frontières ? Pour quels buts vous sont-elles données ? Quelle assise africaine,
sérieuse et constructive a jamais recommandé la lutte armée comme moyen de
régler un différend si différend il y a ? Les difficultés que vos menées
causent au Burundi et dans les pays qui vous avaient hébergés s'inscrivent-ils
dans le cadre de la promotion de l'unité africaine ? N'aident-elles pas au
contraire à réassujettir l'Afrique ?
Il arrive qu'entre vous, vous vous disputiez : examinez donc le motif de cette
mésentente. N'est-ce pas le fond d'humanisme qui persiste toujours chez un
grand nombre d'entre vous ? N'est-ce pas peut-être la colère des plus
fanatiques qui ne supportent que l'argent collecté serve à nourrir et habiller
une femme au lieu de servir à l'achat d'armes ! Que veut dire tutsi ? « Noble »
comme dans le temps ? « Seigneur » comme dans la féodalité ? « Ethnie nomade et
terroriste » comme vous tendez à le faire ? ou comme c'est actuellement « séide
des forces anti-africaines » ! Quand tous les gens de bien auront ouvert les
yeux et reconnu la méchanceté de vos manœuvres, tutsi ne gardera plus que le
sens de « séide des forces anti-africaines » ou signifiera « ethnie nomade et
terroriste ».
Venons-en à votre avenir et à vos enfants. Nous vous conjurons de penser à ces
êtres innocents, qui peuvent encore être sauvés de la peine où vous conduisez
votre groupe ethnique. Nous le répétons particulièrement à vous tutsi : votre
famille vous impose des devoirs qui sont autre chose que les machinations où
vous perdez votre temps et trahissez l'Afrique en terrorisant votre pays de
naissance.
Ne croyez pas avoir rempli vos obligations civiques en laissant vos femmes et
vos enfants de 15 ans dans vos rangs terroristes ! Encore une fois, qui est
génocide ?
A supposer par impossible que vous veniez à prendre Kigali d'assaut, comment
mesurer le chaos dont vous seriez les premières victimes ? Je n'insiste pas :
vous le devinez, sinon vous n'agiriez pas en séides et en désespérés ! Vous le
dites entre vous : « Ce serait la fin totale et précipitée de la race tutsi ».
Qui est génocide ?
Certains d'entre vous –et quel cynisme !- comptent pour l'avenir sur les
étudiants tutsi et les filles tutsi. Quel terrain votre terrorisme prépare-t-il
à ces jeunes gens ? Quel est l'avenir de ces malheureuses coureuses dont la
mission de noyauteuse de cabaret est tout simplement ridicule ? En matière
d'espionnage vous avez encore à apprendre : vous fabriquez des loques humaines
qui rendront votre défaite plus malheureuse et qui rendent plus sombre
l'horizon de l'avenir des étudiants tutsi.
Et cette fin éventuelle, précipitée ou lente, doit faire réfléchir ceux d'entre
vous qui ont encore un sens humain.
Quant à moi, en tant qu'Africain, en tant que votre Président tant que vous
vous appelez Rwandais, je vous ai donné la solution la plus réaliste. Cette
solution à votre situation se résume en ces quelques points :
1. Déposez les armes, remettez-les au néocolonialisme qui vous trompe, et
reprenez les sentiments pacifiques.
2. Ceux qui veulent rentrer dans leur pays d'origine sont invités à rentrer :
qu'ils s'adressent soit directement à nos services administratifs sociaux, soit
au Bureau régional du Haut Commissariat aux Réfugiés. Nous lui avons indiqué
les données dont nos services ont besoin pour le dispositif d'accueil.
3. Ceux qui veulent rester et s'établir dans les pays qui les ont hébergés,
qu'ils s'établissent et obtempèrent aux lois de ces pays notamment en ce qui
regarde la tranquillité publique. Nos services diplomatiques sont prêts à leur
fournir toute l'aide possible par des démarches et des interventions auprès des
autorités de ces pays.
4. Vos enfants, qui, dans l'enseignement supérieur et dans l'Université
étudient avec la bourse octroyée ou cautionnée par le gouvernement, nous
n'avons cessé de les encourager à revenir après leurs études servir la
République. Nous avons adressé nos encouragements au bienfaiteur qui, touché
par la misère de vos enfants, a instauré à leur intention un collège dans un
pays voisin avec les autorisations des responsables de ce pays.
Nous vous invitons à ne pas gêner le service qu'il rend à votre progéniture.
Nous ne nous sommes pas trompés dans notre politique, quand dès les débuts du
Gouvernement provisoire, en octobre 1960, nous avons invité, et notre
Gouvernement et tous les Pays et toutes les instances internationales, à
dépolitiser votre problème de Réfugiés.
La Révolution s'est faite violente à cause de vos leaders d'alors, en novembre
1959 : votre groupe a été vaincu. Le Referendum s'est fait sous les yeux des
observateurs de l'ONU, votre groupe a été vaincu. Pendant que mon Gouvernement
usait de tolérance à l'égard de l'aile opposant restée dans le pays, vous avez
machiné d'employer la lutte armée ; vous avez chaque fois été vaincus et en
même temps vous avez causé la perte de plusieurs vies humaines. Vous mettez en
œuvre l'arme de la calomnie qui se retournera contre vous quand les directeurs
d'agences et journaux se seront rendus compte qu'ils aident sans le savoir le
terrorisme et la subversion.
Depuis le premier juillet 1962, la République Rwandaise est indépendante : ses
institutions démocratiques et démocratiquement mises en place par la volonté du
peuple restent dévouées au peuple, à tous les citoyens sans exception ni
discrimination. La tranquillité publique a régné jusqu'au moment où vos
incursions sont venues la troubler dans la partie méridionale du territoire. Le
Pays dispose à son service, d'une Assistance technique dévouée et
compréhensive, recrutée dans plusieurs pays amis de l'Europe. Le développement
dans tous les secteurs de la vie nationale se poursuit. Et alors, que
voulez-vous avec vos incursions terroristes ? Que voulez-vous quand sous la
direction de gens inconscients vous boudez l'indépendance et le développement
de la République ? A quoi aboutirez-vous quand indirectement vos manœuvres
inutiles jettent de la brouille entre le Rwanda et le Burundi ? En quoi vos
incursions terroristes résolvent-elles votre problème de réfugiés ?
Si vous aimez le Rwanda, suivez la politique que son gouvernement prône en
matière de réfugiés et qui vous est rappelée dans les quelques points que je
viens d'énumérer.
Le sens commun et la fraternité africaine vous invitent aussi à suivre la ligne
que nous vous indiquons : revenez pacifiquement ou établissez-vous tranquillement
dans les pays qui vous ont hébergés.
Nous avons estimé nous adresser directement à vous Réfugiés, à ceux d'entre
vous qui ont encore de vrais sentiments d'humanité. C'est votre droit de savoir
ce que nous pensons de votre attitude et nous pensons qu'au moment où des gens
de bien croient pouvoir vous aider, les précisions que nous donnons viendront
comme une contribution réelle à une action que nous espérons susceptible
d'aider à l'amélioration des conditions de vie de vos familles et de vos
adeptes. Ceux qui vous aident sont de deux groupes : rejetez ceux qui vous
enseignent la guérilla et vous fournissent des armes pour le terrorisme ;
écoutez ceux qui, avec nous, vous invitent à des sentiments pacifiques et à la
tranquillité ; optez pour l'une ou l'autre des positions constructives du
Gouvernement rwandais.
En tant que votre Président, je vous ai indiqué ces positions. Espérons qu'il
n'est pas trop tard ; que vous vous remettiez dans la ligne de la paix qui est
la ligne de l'Afrique et du Monde civilisé d'aujourd'hui.
Quant aux Tutsi qui vivent dans le pays, ils jouissent non pas évidemment du
titre de « seigneurs à statut spécial » mais de tous les droits reconnus aux
citoyens dans n'importe quel pays démocratique. Ne les trompez plus.
Vous pouvez savoir du reste que notre tolérance à l'égard des opposants a
permis à votre terrorisme d'avoir des complices, soit dans la fomentation des
troubles, soit dans la compilation des calomnies à notre égard dont une
certaine presse s'est fait malheureusement l'écho. Que ces complices en soient
punis, c'est normal, mais il sera mieux encore si vous ne les trompez plus,
souvent par des manœuvres réellement inhumaines. A quoi vous serviront leur
égarement, leur malheur ou l'entretien en eux d'inquiétudes qui sont causés
uniquement par le terrorisme Inyenzi ? Vos dates, le
15, le 25 de chaque mois auxquelles vous dédiez vos incursions sont pour
certains d'entre vos congénères un tourment quasi perpétuel. Mettez cela en
relation avec vos haines personnelles, familiales, claniques : Bega et Bahindiro qu'en est-il au
juste actuellement dans vos rangs ? De grâce, que personne ne continue
d'insister sur ce qui peut diviser : cela ne fait que nuire à la démocratie
authentique et au progrès des habitants de la République. Tout le Monde tend à
l'union ; les diversités et les minorités sont respectées : la tolérance fait
la loi ; c'est plus réaliste et plus constructif.
Ce que votre Président vous rappelle ici est réel. Même ceux qui ont fait de
vous leur instrument de subversion néocolonialiste devraient m'écouter et
revoir la disposition de leurs batteries. Ce que je vous rappelle est au-dessus
des finances et des armes automatiques.
Je me suis exprimé à vous avec la franchise que vous me connaissez et que je
vous dois dans la situation qu'est la vôtre.