Vers la libération du Lt Colonel Patrick Karegeya ?


 

Le Lieutenant Colonel Patrick Karegeya était le bras droit du Général Paul Kagame avant de tomber en disgrâce. Condamné à 18 mois de prison en juin 2006, il devrait être libéré au cours de ce mois de novembre 2007 si ses geôliers n’en décident autrement.

L’homme et l’œuvre

Le Lt Colonel Patrick Karegeya a été un camarade du Général Paul Kagame dans l’armée ougandaise. Les deux hommes étaient en charge des renseignements militaires ougandais. Le premier était à la tête des Services extérieurs (External Service Office - ESO), le second Directeur des renseignements Intérieurs (Internal Service Office - ISO) dans le redoutable DMI (Directorate Military Intelligence).

Dans la préparation de l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana, Patrick Karegeya, qui était resté aux côtés du Président Museveni de l’Ouganda, fut envoyé en Tanzanie. Il avait la mission d’informer, à partir de Dar-es-Salaam, le chef des opérations, le Général Paul Kagame, que l'avion du président Habyarimana avait décollé. La suite est connue. L’avion fut abattu le 06 avril 1994 vers 20 h 30 par les commandos du Front Patriotique Rwandais (FPR).

Rentré au pays après la victoire du FPR, le Lt Colonel Patrick Karegeya fut nommé, en 1995, chef des services de Renseignements extérieurs (ESO), le même poste qu’il occupait dans l’armée ougandaise. C’est quand il était à la tête de ce service que furent assassinés notamment l’ex-Ministre du FPR Seth Sendashonga en plein jour dans la ville de Naïrobi au Kenya, le Colonel Théoneste Lizinde, ex-officier du FPR et le commerçant Bugilimfura, toujours à Naïrobi, etc.

Après une décennie de bons et loyaux services, le Lt Colonel Patrick Karegeya quittera ce poste en mars 2004. Il fut nommé porte-parole (Corporate officer) de l’armée.

 

Ses ennuis commencèrent en 2005. Il fut arrêté et maintenu en un endroit tenu secret et sans inculpations. Sa disparition fut révélée par le journal ougandais « The Monitor » du 3 mai 2005 qui a écrit que selon certaines sources, l'arrestation de Patrick Karegeya faisait suite à des enquêtes sur des allégations de corruption à la compagnie TRISTAR appartenant aux Forces Rwandaises de Défense (FRD). Or, cette société était gérée par un Bureau appelé « Desk Congo », un département des services de Renseignements extérieurs qui s’occupait de toutes les richesses pillées par l’armée du FPR au Congo entre 1998 et 2003.

Pour sa relaxe, il a fallu la mobilisation de ses amis et des membres de sa famille. Il a recouvert la liberté le 30/9/2005 après plus de cinq mois de séquestration.

 

Le 15 mai 2006, il fut réarrêté. Le Journal ougandais New Vision de cette période écrit que Patrick Karegeya était soupçonné d’être en intelligence avec l’armée ougandaise. C’était une accusation grave surtout après l’affrontement des armées de ces deux pays, le Rwanda et l’Ouganda, dans la ville de Kisangani en RDC en juin 2002 pour le contrôle des richesses naturelles du Congo. L’Ouganda y avait perdu plus de 200 hommes.

Lors de son procès qui débuta le 15 juin 2006, les charges retenues contre le Lt Colonel Patrick Karegeya étaient « insubordination et désertion ». Les plaidoiries eurent lieu le 22 juin 2006 et Karegeya fut condamné à 18 mois de prison ferme ainsi qu’à la perte tous ses brevets militaires. L’auditeur militaire avait requis pour lui une peine de 7 ans et 6 mois de prison. Karegeya fut condamné notamment sur base de la lettre du seul plaignant, son chef hiérarchique, le Général James Kabarebe.

 

Les vraies raisons de la déchéance.

 

Le Lt Colonel Patrick Karegeya est un alter ego du Général Paul Kagame. Ils ont tous les deux un même mentor, à savoir le Président Yoweri Museveni de l’Ouganda. Les deux hommes sont ses créatures. A la suite des incidents de Kisangani, Paul Kagame a voulu s’affranchir de la tutelle de Museveni et il s’en est fallu de peu pour que les deux pays, le Rwanda et l’Ouganda, entrent en guerre ouverte, n’eût été la médiation du Royaume Uni qui a invité les deux hommes à Londres pour une conciliation. Quant au Lt Colonel Patrick Karegeya, il resterait attaché à l’Ouganda et il serait en train d’en payer les frais.

Dans l’acte d’accusation du Lt Colonel Patrick Karegeya, deux éléments sont à relever. Il lui est reproché « d’insubordination » et son accusateur est le Chef d’Etat-major, le Général James Kabarebe. Lt Colonel Patrick Karegeya aurait-il manqué d’égards au Chef d’Etat-Major ? Pour répondre à cette question, il convient de souligner que le Lt Colonel Patrick Karegeya a fait des études universitaires. Il inspire donc un certain complexe de supériorité à bon nombre d’officiers du FPR dont certains sont affublés de grades de ‘‘Général’’ alors qu’ils sont quasi analphabètes. Les ‘‘intellectuals’’, comme on les appelle, ne sont pas bien vus dans l’armée. Des jeunes universitaires venus du Burundi pour rejoindre le front du FPR en ont appris à leurs dépens. Ils ont été tués en nombre notamment à l’approche de Kigali car ils constituaient un danger pour le partage des postes militaires après la victoire.

 

Rien donc d’étonnant que le Lt Colonel Patrick Karegeya soit taxé d’insoumis par un James Kabarebe sorti du néant. Alors que le Lt Colonel Patrick Karegeya a été toujours aux affaires, James Kabarebe n’était qu’un simple garde de corps du Major Paul Kagame dans le maquis. Il est sorti de l’ombre avec l’attaque contre l’ex-Zaïre où il a été lancé pour un peu émerger. Cela lui a réussi et à la prise de Kinshasa, il fut nommé Chef d’Etat-Major de feu Laurent-Désiré Kabila.

La gestion de la société TRISTAR des Forces armées du FPR n’est pas étrangère aux ennuis du Lt Colonel Patrick Karegeya. L’ex-Zaïre a drainé beaucoup de capitaux au Rwanda. Pour les chiffres connus, et selon Deus Kagiraneza, un ex-officier du FPR devant la Commission du Sénat belge sur le pillage du Congo, le Rwanda faisait entrer chaque année des dizaines de millions non comptabilisés dans le budget national. Il a dit textuellement : « En 2000, j'ai été contacté officieusement par un expert de la Banque mondiale. Il m'a demandé comment il était possible que, dans la comptabilité d'Anvers, l'on trouvait un montant de 30 millions de dollars représentant le commerce d'origine rwandaise en matière de métaux précieux, alors que ce montant ne se retrouvait nulle part dans notre comptabilité nationale » (Sénat de Belgique, 2002).

 

Cet argent passait par des canaux contrôlés entre autres par les services de Renseignements extérieurs du Lt Colonel Patrick Karegeya. Le partage n’aurait donc pas été équitable. Ce sont les rebondissements de cette affaire de gros sous qui auraient conduit le Lt Colonel Patrick Karegeya en taule, ses collègues le soupçonnant d’avoir pris le gros lot. Le système FPR a voulu le coincer par les services de l’Ombudsman. Il aurait refusé d’être contrôlé ‘‘seul’’ et de justifier ‘‘seul’’ l’origine de sa fortune devant cette instance.

Une autre raison tient à ce que l’on peut appeler le syndrome de Stokholm selon lequel les geôliers finissent, à force de se côtoyer à leurs victimes, par adopter, en tout ou en partie, les points de vue de celles-ci.

Le Lt Colonel Patrick Karegeya a fait beaucoup de missions en Europe et Amérique. Il a eu des succès dans la diaspora rwandaise hutu. Il a pu convaincre certains opposants politiques à rallier le FPR contre des postes juteux. Mais ce contact lui a laissé aussi des traces. Dans le cercle fermé des Poids Lourds du FPR, le Lt Colonel Patrick Karegeya aurait fini par défendre la cause des réfugiés à l’extérieur du Rwanda : pour lui, il y a parmi eux des hommes intègres avec lesquels on peut composer pour la vraie paix au Rwanda. Il a été désavoué.

 

Des sources bien informées font état également du fait que, l’expérience aidant, Patrick Karegeya n’aurait pas voulu exécuter la mission que lui confiait Paul Kagame de faire assassiner une activiste occidentale des Droits de l’Homme de passage au Rwanda pour la RDC et de faire endosser ce forfait aux ‘‘extrémistes hutu’’. La première fois, un tel scénario lui a réussi quand les services rwandais ont assassiné des touristes américains dans le Parc de Bwindi en RDC. Le Rwanda en avait profité grandement car les FDRL (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda) avaient été mises sur la liste des organisations terroristes par l’administration américaine. Les supposés assassins ont été acheminés aux USA par le Rwanda. Après enquête, la justice américaine les a lavés de tout soupçon et les a libérés.

 

Et l’après libération ?

 

Si le Lt Colonel Patrick Karegeya est libéré, que deviendra-t-il ? Il a été déchu de tous ses attributs militaires lors de sa condamnation. Libre, il peut supporter stoïquement cette situation. Mais, contrairement à l’ex-Président Pasteur Bizimungu emprisonné et libéré après quelques années dans l’indifférence générale, le Lt Colonel Patrick Karegeya n’est pas n’importe qui. Il est l’un des principaux artisans de la victoire du FPR. Il est resté en Ouganda pour assurer les arrières et son action a été déterminante pour se débarrasser du Président Habyarimana. Il a toujours des adeptes dans l’armée et peut toujours faire recours à la connexion ougandaise. Il peut activer ses réseaux de renseignements qu’il a tissés au cours de sa longue carrière en Ouganda et Rwanda. Que choisira-t-il ? Ce qui est sûr, c’est qu’il n’est pas « inutile et n’importe quoi » (« useless and anything ») comme l’a qualifié publiquement le Général Paul Kagame devant un parterre de journalistes après son emprisonnement. Wait and see.

©Gaspard Musabyimana, le 30/10/2007