Instruites et indépendantes, elles peinent à se marier.


(Agence Syfia 03/03/2008)

(Syfia Grands Lacs/Rwanda) Au Rwanda, pour se marier, mieux vaut être jeune, illettrée, pauvre et soumise. C’est en tout cas l’avis des filles qui, à leur sortie de l’université, peinent à trouver un époux…

"Une femme instruite tolère moins facilement les injonctions de son époux, que celle qui a peu étudié." À la pause, dans les couloirs de l'Université libre de Kigali (ULK), la discussion est animée. À en croire ces enseignantes endurcies dans le célibat, les hommes hésitent à les demander en mariage. Ils seraient trop complexés à l’idée de vivre avec des intellectuelles, pas assez soumises à leur goût.
Selon un sociologue de Kigali, les filles instruites font encore davantage fuir les garçons quand, à la sortie de l’université, elles parviennent à bien gagner leur vie. "Les hommes craignent d'être dominés économiquement et de se voir ôter leur pouvoir traditionnel dans le foyer", explique-t-il. Ainsi, les foyers où les femmes disposent de plus de moyens que leurs maris, sont parfois critiqués. "À la suite d’un accident routier, mon époux a été amputé de la jambe droite. Depuis quatre ans, c'est moi qui fais marcher les affaires courantes et lui s'occupe très bien des enfants. Cependant, certains l'accusent de tout et de rien, lui disent que je le domine et lui suggèrent le divorce", regrette ainsi une épouse qui en a assez de lutter contre certaines mentalités rétrogrades.

L'énigme des "tuit ans"
Pour les filles qui étudient longtemps, un autre obstacle de taille se présente à la fin de leur cursus : leur âge. À l'ULK, un étudiant rapporte que bon nombre de garçons les jugent alors trop vieilles. "On ne demande pas l'âge d'une femme, cela peut gâcher certaines opportunités amoureuses", confirme un inspecteur d’écoles publiques qui dit enregistrer fréquemment des filles qui ont modifié leur date de naissance sur leurs papiers scolaires.
Certaines sont obligées de ruser pour éviter d’être marginalisées. "Aux anniversaires, on entend dire que telle fille est âgée de 'tuit ans'. C'est une façon de dire qu'il est difficile pour elle de dévoiler son âge exact. Du coup, on ne sait pas si elle fête son dix-huitième, son vingt-huitième ou son trente-huitième anniversaire", observe Kanyange, journaliste et mère de trois enfants, qui estime que c’est seulement quand elle a de grands enfants que la femme peut enfin être fière de son âge.

Hommes flexibles au changement
Frappées par la limite d’âge que leur imposent les hommes qui ont le même niveau d’instruction qu’elles, "certaines préfèrent rester célibataires plutôt que de se marier à des hommes non instruits qui peuvent, d’après elles, être plus brutaux et maladroits que les autres", témoigne une étudiante de l'ULK. D’autres franchissent le pas et épousent des hommes moins formés et moins fortunés qu’elles, qui n’hésitent pas, eux, à aller à l’encontre de la tradition. Ainsi, cette titulaire d’une maîtrise en droit a été sollicitée par un commerçant qui n'a pas achevé le premier cycle du secondaire… "Les difficultés économiques rendent certains hommes flexibles aux changements. Ils s'unissent à des filles instruites pour vite se débarrasser de la pauvreté et pour être bien vus dans leur milieu", confie un époux qui a repris ses études secondaires grâce à sa femme, active dans une organisation féminine. "Si je n’avais pas fait ce choix, je ressemblerais à mes confrères qui errent dans les rues", se félicite-t-il.
De leur côté, des Églises protestantes, au cours de séances publiques, encouragent leurs fidèles à se marier entre eux. "Certaines femmes se confient résolument aux activités des Églises et y tissent de vraies amitiés avec des hommes instruits ou pas. Des mariages peuvent suivre", raconte un membre de l'Église de restauration de Kimisagara à Kigali, citant l’exemple d’une institutrice, proche de la quarantaine, qui a fini par épouser un homme ne disposant que d’une formation primaire.


28-02-2008
par Alphonse Safari Byuma

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