Rwanda.
Non-lieu requis dans l’enquête sur
l’attentat de Kigali
André
THOMAS avec AFP
Modifié le 13/10/2018
L'ancien
président rwandais Juvénal Habyarimana, le 3
août 1975
lors d'un sommet,
à Kamapala en Ouganda.
Après
vingt ans de rebondissements, le
parquet de Paris demande l’abandon des poursuites contre des
proches du
président rwandais Paul Kagame. Ceux-ci sont
soupçonnés par la justice
française d’être impliqués
dans l’attentat de 1994 qui a tué le
président
déclenché le génocide des Tutsi.
Le
parquet de Paris réclame ce samedi 13 octobre
un non-lieu contre les sept protagonistes mis en examen, tous issus du
clan de
Paul Kagame, dans l’affaire
de l’attentat de l’ancien
président hutu Juvénal Habyarimana le
6 avril 1994
au Rwanda.
Des Français membres de l’équipage de
l’avion avaient péri dans l’explosion de
son avion, d’où la procédure
française.
Le
parquet estime que l’enquête n’a pu
réunir de « charges
suffisantes » à leur
encontre, selon son réquisitoire définitif
daté
du 10 octobre dont a eu connaissance l’AFP. « Le
doute doit
profiter à ces derniers »,
ajoute le parquet.
La
décision finale sur la tenue ou non d’un
procès est
désormais entre les mains des juges d’instruction
du pôle antiterroriste.
Depuis
plus de 20 ans, ce dossier empoisonne les
relations entre Paris et Kigali sur fond de débat sur les
responsabilités
françaises à l’époque du
génocide.
Retour
sur le déclenchement d’un
massacre
Le
6 avril 1994, l’avion du président du
Rwanda,
le Hutu Juvénal Habyarimana, avait été
abattu en phase d’atterrissage à Kigali
par au moins un missile tiré du sol. Dans
l’attentat périssait également le
président du Burundi, Cyprien Ntaruamira
Cet
attentat est considéré comme le
déclencheur du
génocide qui fit 800 000 morts en trois mois,
principalement dans la minorité
tutsi (10 % de la population rwandaise) et contre les Hutu
modérés. Un bilan
effroyable qui représente plus de deux fois celui de la
guerre en Syrie en sept
ans.
Il
s’agit d’un des quatre génocides
considérés comme
tels par l'ONU, avec les génocides arménien, juif
et le massacre de Srebrenica.
Le génocide rwandais, nouvel épisode
d’une longue et sanglante rivalité entre
Hutu et Tutsi, a de plus déstabilisé
également la république démocratique
du
Congo ainsi que le Burundi.
Qui
en sont les
auteurs ?
La question est
au cœur de controverses historiques et d’une
quête judiciaire complexe.
Pour
justifier sa position, qui écarte la
responsabilité des Tutsi, aujourd’hui au pouvoir,
le parquet souligne des « incertitudes
[…] nombreuses » et « l’absence
d’éléments matériellement
incontestables ». Il ajoute que les
charges principales s’appuient surtout
sur des témoignages, toujours fragiles et qui se sont
multipliés, dans ans une
affaire où l’intox a régné
durant des années.
Un
Hutu modéré victime de Hutu
extrémistes ?
Au
Rwanda, alors que Paul Kagame était
déjà au pouvoir
depuis 2000, une commission d’enquête avait
imputé en 2009 la responsabilité de
l’attentat aux extrémistes hutu qui se seraient
ainsi débarrassés d’un
président jugé trop modéré.
En
France, une information judiciaire avait été
ouverte
en 1998 après la plainte des familles de
l’équipage, composé de
Français. Le
premier juge saisi, Jean-Louis Bruguière, avait au contraire
privilégié une
hypothèse opposée : celle
d’un attentat commis par des soldats de
l’ex-rébellion tutsi du Front patriotique rwandais
(FPR), dirigé par Paul
Kagame.
Rappelons
que la France a longtemps soutenu le régime
hutu contre l’offensive tutsi du FPR.
Les
relations diplomatiques entre les deux pays
avaient été rompues quand le juge avait
émis en 2006 neuf mandats d’arrêts
contre des proches de Kagame, devenu président.
La
thèse du juge Bruguière avait
été fragilisée en
2012 par un rapport d’experts en balistique. Ces experts
s’étaient rendus sur
place avec les juges ayant repris le dossier, Marc Trévidic
et Nathalie Poux.
Leurs conclusions désignaient le camp de Kanombe comme zone
de tir probable. Or
ce camp était alors aux mains de la garde
présidentielle d’Habyarimana. Le
président hutu aurait donc été
tué par des membres de sa propre majorité. Ce
qui expliquerait comment le régime hutu a pu
déclencher instantanément une
répression massive du FPR et des Tutsis.
Témoin
inaccessible
Closes
une première fois, les investigations avaient
été relancées en 2016 mais se sont
heurtées à une série
d’obstacles avant
d’être définitivement
bouclées en décembre 2017.
Les
juges ont ainsi tenté en vain d’entendre un
dissident rwandais, Faustin Kayumba Nyamwasa,
réfugié en Afrique du Sud et visé
lui-même par un mandat d’arrêt. Ancien
membre du premier cercle du clan Kagame,
il appuyait les accusations contre ses anciens compagnons du FPR. On
n’a donc
pas pu vérifier si ses déclarations
relèvent, comme on le pressent, de l’intox
à l’encontre des révolutionnaires tutsi.
Autre
revers subi par la justice française : les
avocats de deux des sept membres de l’entourage de Kagame mis
en examen -
l’actuel ministre rwandais de la Défense, le
général James Kabarebe, et le
possible tireur d’un des missiles, Franck Nziza - ont
refusé en décembre une
confrontation avec un nouveau témoin affirmant avoir eu la
garde des missiles
au QG du FPR. Là encore, on ne saura s’il
s’agit d’info ou d’intox.
Au
printemps, les parties civiles avaient produit un
rapport secret de 2003 du Tribunal pénal international pour
le Rwanda qui
attribuait la responsabilité de l’attaque au clan
Kagame, mais le juge
Jean-Marc Herbaut, estimant que cette piste avait
été suffisamment documentée,
avait refusé de relancer l’enquête.
Satisfaction
des proches de Kagame
« C’est
une étape supplémentaire vers la
reconnaissance de ce que nous clamons depuis l’ordonnance du
juge Bruguière, en
2006, se
réjouit Me
Bernard Maingain, qui défend les proches du
président Kagame mis en
examen. Ce réquisitoire va dans le sens du
mémoire que nous nous
apprêtons à déposer entre les mains des
juges d’instruction : il déconstruit
toutes les tentatives d’intoxication intervenues dans ce
dossier. Cela fait
20 ans que nos clients souffrent de ces
accusations. »
Une
version contredite par Me Philippe Meilhac,
l’avocat de la famille Habyarimana : « C’est
un non-événement. Il ne
s’agit que de l’avis du ministère public,
qui a lâché les parties civiles
depuis dix ans pour des raisons politiques. J’en
veux pour preuve le fait
que ce réquisitoire tombe en même temps
que l’élection d’une autre
dignitaire rwandaise à la tête de la
Francophonie (Louise Mushikiwabo,
ndlr). Nous ferons bientôt connaître nos positions,
qui sont totalement
opposées à celles du
Parquet. »
L'épilogue
d'une très ancienne rivalité
Le
génocide de 1994 est le prolongement tragique
d’une
longue rivalité entre Hutu et Tutsi non seulement au Rwanda,
mais également au
Burundi. Ces deux pays sont d’anciennes colonies belges,
comme l’actuelle
République démocratique du Congo. Rwanda et
Burundi ont la particularité d’être
de petite taille, l’équivalent pour chacun de la
Bretagne, mais avec une
population, pour chacun, équivalente à celle de
l’Ile-de-France. Isolés sur un
haut plateau volcanique, ils bénéficient de sols
fertiles, d’un climat
favorable et de la proximité de grands lacs (Kivu et
Tanganyika). Pour les
situer, on peut indiquer qu’ils sont tout près de
l’ »œil » que
constitue, dans la
« tête » du continent
africain, l’immense lac
Victoria.
La
population est issue d’un même peuple, les
Banyaruandas, dont Tutsi et Hutu constituent des castes, tout comme les
Twas.
Les Hutu constituent la plus nombreuse (85 %), et sont
historiquement
tournés vers l’agriculture. Les Twas, sont
ultraminoritaires (1 %), et
sont les ouvriers. Quant aux Tutsis (14 %), ils sont
éleveurs et ont
longtemps constitué la caste dominante.
C’est
en tout cas sur les Tutsi que s’est appuyée, en
son temps, l’ancienne puissance coloniale belge.
C’est fort de cette position
dominatrice que les Tutsi ont été les premiers
à revendiquer l’indépendance
dans les années 1950. Alors, la pression
démographique les incite à accaparer
des terres exploitées par les Hutu. Ceci aboutit
à une révolte des Hutu, bien
plus nombreux et pauvre. En 1959, ils massacrent des dizaines
de milliers
de Tutsi. Nombre de survivants fuient en Ouganda, au Congo et au
Burundi.
Au
Burundi voisin, les Hutu tentent en 1972 de mener
la même révolte que leurs homologues rwandais.
Mais ils échouent et ce sont eux
qui sont victimes d’une terrible répression des
Tutsi, qui tueront 100 000
Hutu.
En
1973, au Rwanda, un peu plus de dix ans après les
indépendances, arrivée au pouvoir du Hutu
Juvénal Habyarimana. Son clan domine
le pays. Les Tutsis exilés ruminent leur retour. Il prend
forme en 1990
depuis l’Ouganda voisin, sous la conduite de Paul
Kagamé. Alors
qu’Habyarimana se prépare à fuir face
à ce qu’il envisage comme une défaite
prévisible, la France de François Mitterand lui
apporte son soutien. Ce sont
des parachutistes français qui dissuadent Paul
Kagamé et ses troupes Tutsi de
poursuivre leur progression.
Kagamé
chasse les Hutu présents de la zone qu’il
contrôle. De son côté, Kagamé
forme une milice civile hutu ainsi qu’une armée
gonflée à 35 000 hommes.
Dans
cette situation d’extrême tension, des
négociations de paix sont pourtant entamées, dans
la Tanzanie voisine. Elle
fait même l’objet d’un accord,
signé à Arusha (Tanzanie). C’est de
retour de la
signature de cet accord que Juvénal Habyarimana et son
homologue burundais sont
assassinés.
La
« vengeance » du
régime hutu contre
un attentat qui, en fait, provient sans doute de ses propres rangs,
déchaîne
alors avec une violence inimaginable, alimentée par la
tristement célèbre radio
« Mille collines » :
800 000 Tutsi ainsi que des Hutu
modérés, soit l’équivalent
de la ville de Marseille, sont assassinés en trois
mois.