REGION
DES GRANDS LACS
AFRICAINS : COLLAPSE NATURE-SOCIETE PRONOSTIQUE.
http://geographica.danslamarge.com/REGION-DES-GRANDS-LACS-AFRICAINS.html
Auteur :
Alain Cazenave-Piarrot. alain.cazenave-piarrot@toulouse.iufm.fr
Publié
le lundi 8 février 2010
La
Région
des Grands Lacs africains (RGL) s’organise autour des lacs
Victoria et
Tanganyika. Elle couvre environ 550 000 km et comprend, outre le Kivu
qui
relève pour le moment du Congo, le Burundi, le Rwanda, la
pointe ouest du
Kenya, le sud de l’Ouganda et le nord — ouest de la
Tanzanie. Depuis les années
soixante, la RGL a connu une série de troubles,
principalement au Burundi, au
Kivu et au Rwanda, le plus souvent très violents, qui ont
infligé de graves
dommages aussi bien au cadre naturel qu’aux
sociétés qui y vivent.
Figure
n° 1 : Région des Grands Lacs.
Limites administratives et villes.
Dans la RGL le classique interface nature-société
est brouillé par une humanité
nombreuse, aux densités les plus fortes du sub —
continent, qui influe
fortement sur une nature elle — même
très prégnante, avec le jeu combiné de
mécanismes de circulation atmosphérique
caractérisés par le passage de
l’Équateur et par des dispositifs de relief qui
hachent l’espace en horst
(blocs soulevés) et grabens (fossés
d’effondrement) autour du Grand Rift
Occidental.
Notre
réflexion consiste à questionner la mise sous
pression de cet espace naturel et
social par le global change et à mesurer les atteintes de
tous ordres portés à
l’encontre des cadres naturels et humains de la
Région.
1. Un
œkoumène sous la pression de la croissance
démographique.
1.1.
L’explosion
démographique dans la RGL.
. Les
espaces Burundi — Kivu— Ouganda du Sud —
Ouest — Rwanda comptent en 2009 aux
environs de 31 millions d’habitants. Il s’agit
d’estimations qui attribuent
8.69 millions d’hab. au Burundi [www.statistiques mondiales.
Com], 6.3 au Kivu
[Cazenave- Piarrot A., 2007], 6.5 millions au sud— ouest
ougandais [Cazenave—
Piarrot A., 2007-1] et 10.1 au Rwanda [Statistiques mondiales. Com]. Il
faut
les mettre en comparaison avec les effectifs de 1950 et de 1980 pour
mesurer
l’explosion démographique qui affecte
l’ensemble. Ainsi au Burundi [ESDR
(2002)]. les effectifs sont passés entre les trois dates de
2,4 millions
d’habitants à 4 millions pour atteindre les 8,6
millions actuels, soit un
doublement tous les trente ans. La croissance démographique
se nourrit de taux
de natalité très élevés et
de la chute spectaculaire des taux de mortalité,
même s’ils restent plus
élevés qu’au Nord. Si les
densités moyennes atteignent
en moyenne 312, 2 et 386,7 hab./km au Burundi et au Rwanda, elles
peuvent
dépasser, en pleine campagne, 500 habitants au km²
. Il s’agit d’un
« monde plein » (A. Guichaoua),
en surtension démographique,
essentiellement rural et a fortiori agricole avec des taux de
population active
agricole que l’on ne trouve plus nulle part dans le monde,
même dans les pays
de mousson d’Asie orientale et
méridionale : 89,71 % au Burundi, et 90,13
% au Rwanda en 2004. L’exode rural y est certes intense, la
croissance des
villes soutenue [Calas, 2001], mais empâtée dans
la croissance généralisée de
la population, ce qui ne creuse pas de différentiel entre
villes qui
s’accroissent et campagnes qui se vident.
Figure
n° 2 : Densités de
population en Région des Grands Lacs. Dans la RGL, les
effectifs de population
sont à la fois pierre d’angle et clé de
voûte de toute réflexion sur la
dégradation de l’environnement naturel et
socio— économique.
1.2.
Une circulation générale perturbée par
le Global change.
Ici,
changement d’échelle : les analyses
locales se croisent avec les considérations
planétaires. Le changement
climatique affecte la RGL et influe sur les contraintes
démographiques. La RGL
se situe au centre ouest du domaine des moussons de l’Afrique
Orientale, région
climatique balayée par le FIT (front inter—
tropical) . Chaque année, la RGL
connaît à deux reprises, le passage du FIT, ce qui
rythme les précipitations.
La saison des pluies présente deux maxima très
nets, centrés sur les équinoxes,
chacun encadrant une saison sèche. Des invasions
d’air atlantique peuvent se
produire. Elles atteignent le bourrelet montagneux à
l’est du Kivu et surtout
la crête Congo — Nil. Restées
très chargées d’humidité
après la traversée de la
cuvette congolaise, elles expliquent les très fortes
précipitations. Dans la
quasi-totalité de la Région les saisons ont perdu
de leur belle régularité. La
Région n’est pas épargnée
par les changements climatiques qui affectent
dorénavant le monde entier. Pluies diluviennes,
sécheresses précoces, retards
et surtout irrégularités de la saison des pluies
frappent les populations. Ce
n’est pas la première fois que la RGL souffre
d’irrégularités climatiques,
très
tôt mentionnées dans les annales. Actuellement
elles se répètent de plus en
plus souvent. Ainsi, au Burundi, elles affectent les
activités agricoles en
1990, 2007, et à nouveau en 2008 [Syfia/Grands Lacs, 2008].
Les changements
climatiques dorénavant sensibles dans le monde entier
remettent ici en cause le
système cultural. Ne comprenant pas ce qui arrive, les
agriculteurs continuent
à cultiver comme si les saisons restaient
inchangées : « On doit
semer quoiqu’on ignore ce que sera le temps. On regretterait
de n’avoir pas
semé si le climat devient clément et que les
voisins récoltent » analyse
Dismans [Syfia/Grands Lacs, 2008]. La charge démographique
et la prégnance de
l’agriculture vivrière couplées aux
irrégularités climatiques provoquent des
situations de disette aussi bien au Burundi qu’au Rwanda
où les pourcentages de
population sous-alimentée sont respectivement
évalués en 2004 à 66 et 33 %
[www.statistiques mondiales.com]. Dans l’autre sens, les
irrégularités
pluviométriques se marquent par des pluies diluviennes
provoquant des
glissements de terrain, des inondations. Celles d’avril 2008
ont emporté 30
maisons, plusieurs champs de manioc et de bananiers dans les environs
de
Bujumbura, en mars 2009 plusieurs quartiers de la ville sont
inondés. À la même
époque, au nord du Burundi, « les
cultures de marais ont été ensevelies
par des courants dévalent follement les collines presque
nues ». Dans la
RGL, comme dans toute l’Afrique subsaharienne, le changement
climatique
constitue dorénavant une des variables de
l’échec agricole, mise en évidence
lors de la conférence sur le réchauffement de la
planète et le changement
climatique qui s’est tenue au Cap, à la fin du
mois de juillet 2008
[www.ipsisinternational.org]. Dans les villes les abats
d’eau, les séquences de
pluies diluviennes provoquent inondations, coulées de boue,
tout
particulièrement à Bujumbura, coincée
entre montagnes et lac Tanganyika.
Au-delà des espaces anthropisés de
l’agriculture et des villes, la nature est
aussi affectée par le changement climatique. Au nord de la
RGL les glaciers du
Ruwenzori, meurent très rapidement, comme le montre dans un
visuel saisissant
les cartes de l’atlas :
« Afrique : Atlas de notre environnement
en mutation » publiées par le PNUE
[www.actu-environnement.org]. Les
images satellitales prises sur une période de 35 ans,
montrent le recul
considérable des glaciers du Ruwenzori : 650 ha en
1906, 352 ha en 1952 et
148 ha en 2008. À cette vitesse, le WWF estime
qu’ils auront complètement
disparu d’ici une trentaine d’années
[www.wwf.be] Bien que l’Afrique ne
produise que 4 % du total mondial des émissions de dioxyde
de carbone, et la
RGL sensiblement moins, ses habitants pâtissent des
conséquences du changement
climatique de « manière
disproportionnée » selon le PNUE.
Singulier
processus d’intégration à la
mondialisation que celui du global change !
1.3.
Les dispositifs de relief :
discordance entre les grands ensembles topographiques et les
découpages
politiques.
La
RGL appartient à l’Afrique orientale.
C’est un pays de socle, raboté en plusieurs
surfaces d’érosion au Primaire et
au Secondaire. Les cassures majeures que constitue le Grand Rift
occidental
introduisent les différenciations paysagiques majeures. Vers
les hauts se
trouvent des morceaux de socle portés en hauteur, des horsts
et des édifices
volcaniques, les contrebas sont des grabens, partout le
réseau hydrographique
est troublé. Le tout s’inscrit dans une
séismicité violente qui place la RGL
dans l’ensemble tectonique entre plaques qui court du Taurus
au Natal.
Figure nº
3 : Les dispositifs de relief en Région des Grands
Lacs. Les paysages se
marquent tous par l’altitude. Les montagnes dominants le lac
Tanganyika (775 m)
atteignent 3200 m. à l’ouest, 2670 à
l’est (Mont Heha). Le Ruwenzori est un
horst qui culmine au Pic Margherita (5109m). La chaîne des
Virunga, vigoureux
relief volcanique surimposé à
l’ensemble, culmine à 4507 m au Karisimbi. Ces
hauts sommets sont entourés de contrebas
découpés en collines
déblayées par
l’érosion puis de plateaux qui les relient vers
l’est au lac Victoria, vers
l’ouest et le nord au Maniéma et à
l’Ituri congolais. Les fossés constituent le
Rift occidental. Ils sont occupés par les lacs Albert,
Georges, Kivu et
Tanganyika. Le lac Kivu résulte d’un
d’ennoyage provoqué par le barrage de la
chaîne volcanique des Virunga. Le lac Victoria,
logé dans un ensellement du
socle, est une pellicule d’eau : ses 83000 km ont
une profondeur maximum
de 82 m.
Ces grands
ensembles topographiques ne correspondent pas toujours aux
découpages étatiques
actuels, directement hérités des
découpages coloniaux. Les appartenances
politiques et les clivages territoriaux antérieurs
ressurgissent, suractivés
par la pression démographique, comme nous verrons.
2. Ruptures et
désorganisations générées
par les
crises.
2. 1. Une
longue série de guerres et de troubles.
La crise
multiforme qui affecte la RGL depuis une quinzaine
d’années constitue une
guerre régionale. Il s’agit d’une
« crise de basse
intensité »
[Braeckman, 2003], malgré les quelques 3 millions de morts
qu’elle a généré. Vu
de l’extérieur, on peut expliquer cette
discrétion par la faible couverture
médiatique, par le manque de mobilisation des opinions, par
la complexité des
processus. Mais de l’intérieur c’est la
ruralité et l’explosion démographique
qui causent la mise en déséquilibre de
sociétés paysannes territorialisées.
Elles génèrent une inextinguible soif de terre
qui pousse chacun à convoiter la
terre de son voisin. Le processus est alors
surdéterminé par l’appartenance
ethnique, l’appât du gain, par le pillage des
richesses minières, forestières
ou agricoles et par tous les engrenages de la violence, due aux
carences de la
démocratie.
2.2. Des
grappes de dévastation.
Cette
conjoncture lourde affecte fortement les dispositifs naturels soumis
aux
tensions déjà exposées, engendre de
multiples formes de dévastation et
génère
une économie de rapine, raubwirtschaft en allemand
[Friedrich, 1904]. La
dévastation se propage par grappes de catastrophes. En
premier lieu la
déforestation est omniprésente. Elle se marque au
niveau des paysages et
résulte de plusieurs facteurs. Les paysages forestiers
originels de la RGL sont
en voie de disparition. La forêt primaire de type rein Forest
qui couvre la
crête Congo — Nil au Burundi et au Rwanda,
s’est rétrécie à un tel
point
qu’elle en en passe de relever du vocabulaire de
l’histoire. Ainsi au Burundi,
elle occupe actuellement quelques lambeaux dans les ravins qui
descendent vers
le graben du Tanganyika et sur les plus hauts sommets de la
crête, à tel point
que le site écologiste mongabay.com, indique que, sur les
152 000 hectares de
forêts recensés dans le pays, aucun
n’est dorénavant classé comme
forêt
primaire. Quant aux espaces forestiers restants, ils
rétrécissent rapidement.
Entre 1990 et 2005, le Burundi aurait ainsi perdu 47,4 % de son couvert
forestier, soit environ 137 000 hectares. Au Rwanda aussi, la
forêt a longtemps
reculé, même si le phénomène
est combattu. En Ouganda, le pays a perdu 86 400
hectares de bois entre 2000 et 2005, soit 2,1 % de sa couverture
forestière. Le
processus de déforestation est double. Il est
provoqué d’une part par les
prélèvements de bois, d’autre part par
les défrichements. Les coupes sont
destinées à fournir du bois de feu, tout
particulièrement charbon de bois
utilisé pour la cuisine. Il s’agit de
prélèvements individuels, chacun peu
important en cubage, mais innombrables. Les coupes, le plus souvent non
—
contrôlées fournissent aussi du bois
d’œuvre. Les défrichements sont
provoqués
par la recherche à tout prix de terres arables pour faire
face à la croissance
démographique. L’agriculture dans la RGL, aussi
ingénieuse soit-elle, doit sans
cesse agrandir ses terroirs. L’impétueuse
croissance démographique se transcrit
dans les paysages. Partout il s’agit de grignotages
informels, aux limes des
finages, vers les hauts dans la montagne, vers les contrebas dans les
talwegs
marécageux à fond plats, dans les ravins des
escarpements de faille, sur les
parcours d’élevage. Il n’y a aucune
intentionnalité de la part des agriculteurs
en quête de terre, sinon celle de nourrir leur famille. La
mise à mal du
couvert végétal s’opère ici
avec une extraordinaire rapidité, en contraste
total avec la lenteur de tout processus de reboisement. La
déforestation
provoque la disparition de nombreux habitats,
végétaux, mais aussi animaux,
contribuant à l’appauvrissement massif de la
biodiversité. La crise contribue à
l’aggravation du processus, avec la
généralisation des activités de
rapine. Au
Burundi les boisements furent mis à mal par la guerre
civile. Entre 1993 et
1996, 30 641 ha furent détruits [Kabeya, 1996] ce qui
représente près de 15 %
de l’actif forestier. Par ailleurs, les experts mettent sur
le compte des
déboisements intenses les
irrégularités pluviométriques qui
affectent, depuis,
les provinces du Nord-est burundais. En deuxième lieu
l’érosion des sols
fonctionne en boucle avec la pression démographique et la
déforestation. La
marque dans les paysages apparaît nettement, aussi bien dans
les campagnes que
dans les villes. À Bujumbura chaque saison des pluies
précipite sur la ville
des flots rougeâtres de matériaux
arrachés à la montagne. Comparés aux
paysages
d’il y a une trentaine d’années, les
visuels actuels de Bujumbura traduisent
une évolution de type
« haïtien ». Dans les
campagnes les glissements
de terrain sont nombreux, les précipitations sur des sols
agricoles dénudés
emportent vers les contrebas les matériaux
arrachés qui recouvrent à leur tour
les terroirs de marais. Le même processus opère au
Rwanda, où les sols sont
sévèrement dégradés sur les
¾ Ouest du pays, au Kivu et dans le Sud-ouest
ougandais. Enfin, les activités de rapine
complètent ce cycle tout en
l’accentuant. Elles se développent à la
faveur de la crise et concernent pour
l’essentiel le Kivu, qui relève d’un
état congolais particulièrement
déliquescent, suite à « une
décennie effroyable » de conflits
[Rémy,
2006], au cours desquels 100 000 soldats étrangers se sont
battus sur le sol
congolais, tandis que les pays engagés — Ouganda
et Rwanda au Kivu— Ituri—
Manièma— se sont rués sur la
dépouille de l’ex — Zaïre.
C’est ici que la
raubwirtschaft joue à plein, même quand le conflit
a cessé. Deux catégories
d’acteurs se partagent ces pratiques :
d’une part des groupes structurés
aux activités intégrées dans les
circuits économiques, même mondiaux,
d’autre
part des particuliers, ruraux ou déplacés des
différents conflits auxquels la
rapine permet de survivre. Les prélèvements
portent sur les produits
forestiers, avec des coupes d’essences précieuses
dans les massifs forestiers
du Kivu, mais aussi de l’Ituri et du Manièma. Sur
le marché, bois rouges et
bois bruns (Wenge, Afromosia, Sipo, Acajou…) sont les plus
demandés. Les
prélèvements portent aussi sur les produits
miniers, que le socle congolais
recèle en quantité. Au Kivu, il s’agit
de diamants, d’or et de coltan.
L’extraction est assurée par des producteurs
artisanaux, les
« creuseurs ». Mais la
commercialisation est contrôlée par des
« filières
prédatrices », groupes miniers ou
armées occupantes. Ainsi
fin 2006, le Rwanda contrôlerait 70 % du coltan extrait au
Kivu, tandis qu’en
Ituri, l’Ouganda extrait des diamants, de l’or et
exporte les bois précieux. Un
rapport de l’ONU daté de 2003, sur la contrebande
des richesses minérales au
Congo-RDC, pointe l’implication de multinationales, tel le
géant sud — africain
De Beers, de diamantaires libanais établis à
Anvers comme la famille Ahmad, de
diamantaires israéliens parmi lesquels Dan Gertler et de
« barons des
métaux », comme le Belge George Forrest
[Roche, 2003]. Ces activités se
déroulent sans respect aussi bien de
l’environnement en général, que de la
gestion raisonnée des ressources
prélevées.
2.3. De
préoccupants déficits démocratiques.
De telles
pratiques ne sont rendues possibles que par la pratique
généralisée de la
corruption, mais aussi du laisser-faire de la communauté
internationale. C’est
ainsi qu’en 2003, entérinant le rapport du groupe
d’experts chargés d’enquêter
sur l’exploitation illicite des richesses du Congo
— RDC , ex — Zaïre, le
Conseil de sécurité de l’ONU a
laissé aux états, le soin de poursuivre les
trafiquants [Lesnes, 2003]. L’économie
mondialisée tire de substantiels profits
de ces abus. 3. Remédiations conjoncturelles et
problèmes béants : une
réflexion globale s’impose. 3. 1. Les
remédiations techniques. Il s’agit de
reconstituer par anthropisation programmée ce
qu’une anthropisation destructive
a provoqué. Le reboisement associé à
la protection des sols et à la lutte
contre l’érosion est requalifié en
agroforesterie . Elle consiste à
reconstituer les écosystèmes mis à
mal. Il faut pour mener à bien de tels
projets que la paix civile soit assurée sur le long terme
aussi bien pour mener
les opérations que pour veiller au respect des nouvelles
plantations. Les pays
de la RGL, sauf le Congo — RDC, sont associés dans
AFRENA— ECA, réseau sur la
recherche et le développement en agroforesterie qui regroupe
le Kenya,
l’Ouganda, la Tanzanie, le Rwanda, le Burundi et
l’Ethiopie. Les opérations sur
le terrain concernent pour le moment le Rwanda, qui met en avant une
volonté de
reconstruction forte après le génocide des
années 90 et pour répondre à
l’ampleur des problèmes. La mise en
défens passe par la création de parcs nationaux.
La création des parcs nationaux en RGL remonte aux
années 20 du siècle dernier,
avec la création du parc Albert au Congo — RDC et
celle du parc Queen Elisabeth
en Ouganda. Il s’agissait à l’origine de
préserver des habitats de faune et de
flore. Depuis il s’agit de protéger à
la fois de la pression démographique et
des activités destructrices. Au Kivu les parcs nationaux
sont gravement menacés
par les opérations de guerre, les déplacements de
population et aussi par le
braconnage, le menin de l’or, du coltan et des essences
forestières rares.
C’est ainsi que le parc national du Kahuzi— Biega
qui couvre 6000 km, classé au
patrimoine mondial de l’UNESCO en 1980, est inscrit sur la
liste du patrimoine
mondial en péril depuis 1997. Au Rwanda et en Ouganda, les
parcs constituent
une source de revenus grâce au développement du
tourisme. Soulignons l’option
rwandaise de développer un tourisme haut de gamme,
recherchant plutôt les
visiteurs fortunés pour faire rentrer des devises tout en
n’encombrant pas les
espaces protégés par des afflux intempestifs de
visiteurs. Ainsi dans le parc
des Volcans le coût d’une visite aux gorilles est
de 375 dollars par personne
pour les étrangers et de 10 000 francs rwandais pour les
citoyens rwandais.
Mais partout, en RGL, la faune sauvage diminue (Le Monde, 25 avril
2009, 4).
Paradoxalement, la mise en réserve d’espaces
protégés se fait partout aux
dépens des espaces ruraux et des agriculteurs qui y
vivent ! 3.2. Les
remédiations par la loi. La législation avec des
textes nationaux ou
internationaux, contraignants ou non contraignants, constitue aussi un
outil de
remédiation. Les espaces de la RGL, surtout les espaces
montagnards, plus
menacés et plus fragiles, se trouvent ainsi
enserrés dans un filet de textes
législatifs et réglementaires. Au niveau national
les législations et la
justice doivent gérer la répartition des terres
et autres biens revendiqués par
plusieurs propriétaires quand reviennent les
déplacés. C’est en particulier le
cas au Burundi avec le retour des réfugiés
après la guerre civile. À partir de
2005 nombre de réfugiés ont
décidé de retourner au Burundi, plombant
davantage
une situation démographique déjà
lourde. La Commission Nationale des Terres et
autres biens (CNTB), mise en place pour régler les
problèmes des terres
appartenant à des réfugiés, a
« du pain sur la planche »
[www.ldgl.org ]. Ces terres furent distribuées à
des personnes qui sont restées
au Burundi, pour la plupart des proches du pouvoir, qui se sont ainsi
approprié
de nombreuses parcelles cultivables ou bien des terrains à
bâtir autour des
villes. La CNTB a pour mission quasi-impossible de résoudre
les conflits
fonciers entre rapatriés, déplacés et
occupants des terres, en restituant des
biens utilisés depuis 35 ans et davantage, dans des espaces
déjà hyper —
occupés ! Les conflits fonciers
« engorgent les tribunaux au
Burundi » où ils représentent
80 % des affaires pendantes
[www.afriqueenligne.fr ]. Cette configuration burundaise pourrait se
retrouver
au Rwanda pour des faits encore plus anciens. Malgré tout,
le passage par la
loi et la conciliation reste toujours préférable
à la violence. Au niveau
régional les tracés de frontières
actuels sont soumis à rude épreuve avec le
retour en surface des découpages antérieurs
à la colonisation. Les relevés
historiques montrent que le Rwanda, à la fin du 19e
siècle, comportait tous les
espaces s’étendant entre lac Kivu et lac Albert
[Prioul, 1981]. Cette
appartenance s’avérait cependant plus
éminente que réelle, comme le montre, par
ailleurs, l’actuel clivage rwandais qui affecte le quart nord
— ouest de
l’actuel pays, avec insubordination récurrente
face au Mwami, puis face aux
Allemands, jusqu’aux autorités actuelles. La
possibilité d’un redécoupage
territorial est à nouveau mise en avant par quelques milieux
francophones,
après la victoire du FPR de l’anglophone Paul
Kagamé en 1994. L’actuel Kivu,
morcelé en 11 royaumes avant la colonisation, conserva une
attitude résolument
autonomiste face au pouvoir central qu’il soit colonial,
mobutiste puis contemporain.
Le mouvement des Banyamulenge, pasteurs d’origine rwandaise
qui s’établirent à
partir du 19e siècle au sud-ouest du lac Kivu [Prioul, 1981]
illustre cette
constante. Les victimes du massacre perpétré le
13 août 2004 à Gatumba, camp de
réfugiés banyamulenge installé au
Burundi près de la frontière avec le Congo
—
RDC, appartenaient à ce groupe. De même,
l’installation dans les années 1930 de
rwandais au nord— ouest du lac Kivu où ils
étaient 30 000 au début des années
cinquante [Chrétien, 2003, 359], contribuent
également à brouiller les
frontières telles qu’elles sont. En RGL aucune
instance supra nationale ne
régule ces problèmes de frontières
d’où, à tout moment, peuvent jaillir
des
tensions. d. Les possibilités de gisements
d’hydrocarbures, gaz naturel autour
du lac Kivu et dans la plaine de la Rusizi, pétrole autour
du lac Albert et
dans la vallée de la Semliki, aussi incertaines soient
— elles, ne pourront que
susciter de nouvelles remises en question [Pourtier, 2003]. Au niveau
mondial
les différents états de la RGL
s’impliquent dans les efforts de la communauté
internationale pour réguler les atteintes à
l’environnement. En sortie de
crise, c’est par ailleurs un des moyens de retour
à la normale sur la scène
internationale pour les gouvernements de la RGL, tout
particulièrement le
Burundi et le Rwanda. Tous les états de la RGL ont
ratifié le protocole de
Kyoto . Ils se sont engagés aussi sur des conventions plus
spécifiques, comme
la convention de Ramsar sur la protection des zones humides, celle de
Vienne
pour la protection de la couche d’ozone, celle sur la lutte
contre la
désertification . Ils rejoignent dans leurs
démarches les autres pays
d’Afrique. Tous constatent après la
Conférence des Nations Unies sur le climat
qui a clôturé ses travaux le 27 août
2008 à Accra au Ghana que le continent
dans son ensemble « sera une des principales
victimes du changement
climatique, sans en porter la
responsabilité » [Kempf, 2008]. Amer
constat
qui corrobore une réalité
déjà mise en évidence [Kempf, 2007].
L’autre volet de
cet engagement consiste à rechercher des crédits
auprès de bailleurs qu’il
s’agisse d’organismes internationaux, de
gouvernements ou d’ONG. C’est ainsi
que le Burundi a obtenu de la part du Fonds mondial pour
l’environnement, 5
millions de dollars pour combattre la dégradation des sols.
3.3. Problèmes
béants, solutions globales. L’impératif
premier est de stopper l’explosion
démographique. En RGL les remédiations
relèvent aussi bien de dispositifs
techniques (pilules contraceptives, IVG…) que de lois qui en
autorisent
l’application. Pour l’heure elles sont
inopérantes. Il faut opérer, de toute
urgence, un changement des mentalités et des pratiques
culturelles. Celui-ci
peut se déclencher rapidement, provoqué, comme au
Brésil, par des séries
télévisées,
mais aussi des pièces de théâtre, des
paroles et musiques dans les registres
congolais [Jewsiewicki, 2003, 52], swahilis, mais aussi vernaculaires.
Cette
remédiation relève d’une
révolution culturelle. Elle doit
s’intégrer dans une
démarche sociale globale. Sinon il faut envisager soit la
coercition, soit le
chaos. La limitation des effectifs de la population mondiale concerne
la
planète entière. L’évoquer
reste encore un sujet politiquement incorrect, voire
tabou. On notera, à ce sujet, le non-dit sur
l’Afrique sub — Saharienne en
général, vouée, dans les
représentations mentales des pays du Nord, aux
massacres et au cortège d’images de corps
mutilés et de situations dégradantes,
aux ravages du SIDA, à la malnutrition, ce qui renvoie
à une volonté politique
implicite d’élimination. Tensions et
problèmes pointés conduisent à la
possibilité d’un écocide [Diamond,
2006, 19] en RGL, tant la dégradation des
conditions naturelles et de l’œkoumène,
interroge sur le devenir des
populations qui y vivent. Les risques environnementaux qui existent en
RGL
sont-ils considérablement exagérés ou,
a contrario, sous — estimés ? Un
faisceau convergent de présomptions pose la question
d’une crise écologique
globale [Naess, 2008, 53]. C’est un problème qui
peut affecter l’humanité, bien
au-delà de la RGL. Une bonne partie des recours se trouve
certainement dans le
corps social. Pour la majeure partie des habitants de la RGL, leurs
espaces
géographiques, économiques et mentaux
fonctionnent de manière différente de
l’universel Occidental. Cette évolution passe par
un recentrage sur l’espace
régional. Elle va au rebours des paradigmes
actuels : productivisme,
techno — scientisme, mondialisation. Faute
d’anticipation se profile un risque
d’effondrement, dans un contexte de tensions politiques et
militaires, de
pénurie alimentaire et de désarroi moral.
La
convergence de problèmes lourds et d’une
conjoncture de crise aiguë placent
nature et société de la RGL dans une
série de tensions extraordinaires. Au-delà
des habituelles recommandations dont le déroulé
apparaît très bref comparé au
diagnostic, la question se pose dorénavant de savoir si
certains processus
peuvent s’avérer létaux. Le spectacle
des paysages de la RGL, toujours très
majestueux, cache une situation qui peut devenir apocalyptique,
même à court
terme, situation d’autant plus préoccupante que
les solutions à mettre en œuvre
ne feront effet qu’à moyen ou long terme.
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UMR 1936
Dynamiques Rurales Université Toulouse 2 Le Mirail F. 31058
TOULOUSE Cedex 9.
Chercheur-
associé au CREPAO ( Centre d’études sur
les Pays d’Afrique Orientale). UFR
Droit BP1633, F. 64016 PAU Cedex
pour
Revue
Entropia