|
|
|
Le Front Patriotique rwandais
(FPR) a-t-il arrêté les massacres ou le génocide au Rwanda ? Le régime en place à Kigali
depuis juillet 1994 tire sa légitimité du fait qu’il aurait arrêté les
massacres ou le génocide. Selon cette thèse officielle et sur laquelle reposent les bases mêmes du régime, le FPR n’aurait pas pris le pouvoir par les armes ! Pour lui, même le déclenchement de la guerre le 01 octobre 1990 n’est pas une agression militaire caractérisée mais le début d’une guerre de libération d’un peuple rwandais opprimé et victimes de massacres qu’il fallait arrêter. Pour savoir quel fut réellement
l’action du FPR dans la prévention et/ou l’arrêt des massacres ou de
génocide, nous avons consulté les archives de la presse de l’époque pour la
période d’avant avril 1994 et la documentation du Tribunal Pénal
International pour le Rwanda (TPIR) basé à Arusha, pour la période d’après
avril 1994. Pour la période d’octobre 1990 à avril 1994, des massacres et des
tueries ont été signalés dans différents endroits du pays notamment à Kibilira (Gisenyi), Bugesera (Kigali), Mutura et Kabatwa (Gisenyi) ou Kirambo (Ruhengeri). Pour la période d’avril à juillet 1994, différents sites sont cités comme ayant été le théâtre des massacres. Nous retiendrons les plus médiatisés. Dans la préfecture de Kigali, on note l’Eglise de Ntarama au Bugesera ; à Gitarama, Taba et Gakurazo (Kabgayi) sont les plus cités. Pour Butare, le centre-ville, l’Hôpital Universitaire, Gihindamuyaga ainsi que la Paroisse de Ngoma sont les plus documentés. A Gikongoro, la paroisse de Kaduha et l’école Technique de Murambi viennent en tête. A Cyangugu,
la cathédrale et le stade sont les plus cités. A Kibuye,
c’est le Home Saint-Jean, le stade et l’Eglise de Mubuga
qui sont les plus commentés. A Gisenyi, le lieu dit
« Commune Rouge » est le plus cité. A Ruhengeri,
la Cous d’appel ainsi que la Paroisse de Busogo
sont à retenir. A Byumba, les tueries de la commune
Buyoga (Kisaro et Gaseke) ainsi que celles du Petit Séminaire de Rwesero ont retenus l’attention des observateurs. Ainsi donc, pour chaque massacre rapporté, nous avons cherché à déterminer quand il fut commis, qui l’a arrêté et comment il a été arrêté. Quant à savoir qui l’a commis, cela relève de la justice. Kibilira. Kibilira
était une des communes de la Préfecture de Gisenyi.
Après l’invasion du FPR le 1 octobre 1990, comme dans tout le pays, un climat
de méfiance est perceptible dans la population. Chacun soupçonne son voisin
d’être de mèche avec l’ennemi qui a agressé le pays. Ce sentiment est
renforcé par les révélations faisant état de ce que plusieurs jeunes avaient
quitté leurs collines pour rejoindre le FPR en Ouganda avant l’attaque. A Kibilira,
c’est le débordement. Des paysans sont tués par leurs voisins, tandis que
d’autres se réfugient dans installations publiques pour avoir la vie sauve.
Les autorités administratives tant locales que nationales vont déployer tous
les efforts pour circonscrire et arrêter ces tueries. Des sanctions furent
infligées et des arrestations opérées. Début novembre 1990, le calme est totalement rétabli. Le FPR venait de battre en retraite et s’était replié en Ouganda le 30 octobre 1990. Il ne peut donc pas prétendre avoir arrêté ces massacres de Kibilira. Les Bagogwe. Les Bagogwe sont étymologiquement les habitants de Bigogwe, un secteur de la commune Mutura-Gisenyi. Mais plus généralement le terme désigne des éleveurs nomades qui faisaient paître leurs troupeaux sur les flancs des volcans avant qu’ils ne sédentarisent par manque de pâturage. C’est ainsi qu’ils sont répartis sur les communes de Mutura (Gisenyi), Nkuli, Mukingo et Kinigi (Ruhengeri). Ils sont assimilés aux Tutsi. Le 22 janvier 1991, le FPR, qui avait été bouté hors du territoire national fin octobre 1990, après une réorganisation en Ouganda, effectue un raid sur la ville de Ruhengeri. Il en sera chassé un jour plus tard non sans avoir ouvert la prison spéciale de cette garnison et emmené avec lui quelques prisonniers. Sur son itinéraire de repli vers la forêt des bambous frontalière avec l’Ouganda, quelques jeunes Bagogwe seront emmenés, de gré ou de force, au maquis. Certaines familles dont les enfants avaient rejoints le FPR subirent des représailles de la part de leurs voisins. Il eut des morts. Les autorités locales
s’employèrent à ramener le calme et rétablir la sécurité dans toute la
région. En quelques jours, la situation était redevenue à la normale dans
toutes les communes concernées. Le FPR n’a pas, d’une manière ou d’une autre, arrêté ces massacres. Il n’occupait aucune portion du territoire national et de ce fait n’avait aucune influence sur la gestion des événements qu’i venait de provoquer. Bugesera. En mars 1992, l’activité des partis politiques bat son plein. Le Parti Libéral (PL) dont certains membres étaient proches du FPR, tient un meeting au Bugesera. Son Président, Justin Mugenzi, humilie publiquement le Bourgmestre local Fidèle Rwambuka qui se trouvait être un membre du MRND. Ce dernier sera assassiné à son domicile quelques jours plus tard. Bugesera,
qui était connu comme un repère des Tutsi notamment ceux installés là-bas en
1961-1963, s’embrasa. Il y eut des morts. L’administration, aidée par les
forces de l’ordre, parviendra à éteindre cet incendie allumé par des
politiciens irresponsables. Il y eut des interpellations et plusieurs
responsables locaux furent frappés de mesures administratives. Jamais le FPR
n’a contribué, d’une manière ou d’une autre, à arrêter les massacres. Il
était occupé à conquérir du terrain. En effet, au même moment, le FPR venait
d’occuper solidement quelques lambeaux de terres au Mutara
(Shonga, Nyabwishongwezi)
et à Byumba (Kivuye, Cyumba) et Ruhengeri (Butaro). Kabatwa
(Mutura-Gisenyi). Le 29/11/1993, une soixantaine de paysans (femmes et enfants) sont massacrés à la lisière de la forêt couvrant le volcan Kalisimbi. Les survivants témoigneront que leurs assassins avaient jailli de la forêt des bambous, armés de kalachnikov et qu’ils s’y sont après la commission de leur crime. Le général Dallaire qui commandait la MINUAR promit des enquêtes afin de faire toute la lumière sur ce massacre. Jusqu’à la fin de sa mission, il ne rendra public aucun rapport. Encore une fois le FPR ne peut prétendre avoir prévenu ou arrêté ce massacre. Kirambo. En novembre 1993, sur exigence du FPR, des élections locales sont organisées dans la zone démilitarisée suite à l’offensive du 08 février 1993. Contre toute attente, tous les Conseillers communaux et Responsables de cellules élues sont d’obédience du MRND malgré la présence et l’endoctrinement du FPR dans cette zone frontalière avec l’Ouganda. Dans la nuit du 17 au 18 novembre 1993, tous les nouveaux élus de la sous-préfecture de Kirambo sont retrouvés assassinés par balle à leurs domiciles. De nouveau la MINUAR promit de faire des enquêtes afin de traduire les assassins devant la justice mais rien ne viendra. Encore un massacre que le FPR ne peut pas prétendre avoir arrêté. Buyoga. Dès le 07 avril 1994, le FPR viole l’accord de paix et lance une vaste offensive sur tous les fronts. Dans le secteur Byumba, il attaque sur deux axes. Une colonne doit foncer vers Kigali sur l’axe Kisaro-Buyoga-Rutongo-Jali et un autre plus à l’Est sur l’axe Rutare-Giti-Gikomero-CND. A l’Est, la colonne fera jonction avec les éléments du CND dès le 09 avril tandis que celle de l’Ouest n’atteindra les faubourgs de Kigali que le 11 avril 1994. Pourtant le 22 avril, soit
quinze jours après la conquête des lieux, plusieurs religieux et civils
furent massacrés au Petit Séminaire de Rwesero en Comune Giti. La plus célèbre
des victimes est l’Abbé Gaspard Mudashimwa, un
musicien de grand talent. Ce massacre ne fut ni prévenu ni arrêté par le FPR
alors que c’était en son pouvoir. De même les déplacés du camp de Kisaro qui avaient été chassés à coup de mortier la nuit
du 07 au 08 avril 1994 n’atteindront pas Kigali et plusieurs d’entre eux
-1300 selon les rescapés- seront massacrés à Buyoga
au lieu dit Ku Gaseke
entre le 26 et le 30 avril 1994. Encore un massacre que le FPR ne peut pas prétendre avoir arrêté alors qu’il fut commis dans sa zone de responsabilité. Paroisse Nyarubuye
(Rusumo-Kibungo). Dans son offensive d’avril
1994, le FPR a foncé vers Kigali à partir de Byumba
mais en même temps il a placé son effort principal pour la conquête du pays
dans un mouvement tournant partant du Mutara vers Butare en bouclant les frontières avec la Tanzanie et le
Burundi. C’est ainsi qu’après avoir bousculé les unités des FAR au Mutara le FPR a atteint Kibungo
et que la population a commencé à fuir. La seule sortie pour cette population
apeurée était le pont de Rusumo sur la rivière Akagera faisant frontière avec la Tanzanie. Dans cette commune de Rusumo, une paroisse catholique située à Nyarubuye avait accueilli des déplacés tutsi qui y
avaient trouvé refuge après le 07 avril 1994. Dans l’affaire « Le Procureur contre Sylvestre Gacumbitsi » (case ICTR-01-64), le Procureur du TIPR relève que ces réfugiés furent massacrés entre le 15 et le 17 avril 1994. Sylvestre Gacumbitsi qui était alors Bourgmestre de Rusumo a été condamné pour ne pas avoir prévenu ou arrêté ce massacre. Le FPR n’était donc pas là pour éventuellement l’arrêter. Ntarama
au Bugesera. La région du Bugesera fut conquise après celle de Kibungo c’est-à-dire fin avril début mai 1994. Dans l’affaire « Le Procureur contre François Karera » (case ICTR-01-74), il est dit que les réfugiés tutsi dans l’église de Ntarama en commune Kanzeze ont été massacrés par les Interahamwe entre le 15 et le 24 avril 1994. Il n’est dit nulle part que le FPR aurait arrêté ce massacre. Gakurazo-Kabgayi
(Gitarama). Le 2 juin 1994, le FPR atteint Gitarama mais venant du Sud. Ses éléments atteignent Kabgayi alors que le Chef-lieu de la Préfecture Gitarama est toujours aux mains des FAR. Kabgayi est le haut lieu de la chrétienté (catholique) au Rwanda. Tous les evêques des zones de guerre s’y sont repliés avec l’archevêque métropolitain, Mgr Vincent Nsengiyumva. Avec leurs collaborateurs laïques et prêtres, ils s’étaient retranchés à Gakurazo. Le 05 juin 1994, soit trois jours après la prise des lieux par le FPR, ils seront tous assassinés par balles. Encore un massacre que le FPR n’a pas arrêté. Taba-Gitarama. D’après le Procureur du TPIR dans le Procès Jean Paul Akayesu (case ICTR-96-4) , le massacre de Taba a été commis autour du 20 avril 1994. Akayesu, qui était Bourgmestre de cette commune, en a été condamné à une réclusion à perpétuité. Il n’est signalé nulle part que le FPR aurait arrêté ce massacre. Il n’a conquis ce territoire que fin juin 1994. Il ne peut donc pas prétendre avoir arrêté un massacre. Butare-Ville
et ses environs. Dans le Procès du Lt Colonel Tharcisse Muvunyi devant le TPIR (case ICTR-2000-55), l’acte d’accusation dressé par le Procureur allègue que les massacres auraient commencé dans Butare après le 19 avril 1994. La ville fut conquise par le FPR fin juin 1994. Le FPR ne pouvait donc pas matériellement arrêter les massacres qui avaient été commis à Butare en avril 1994. Kaduha
et Ecole Technique de Murambi à Gikongoro. Dans le Procès Aloys Simba devant le TPIR (case ICTR-01-76), le Procureur situe le massacre de la paroisse Kaduha vers le 24 avril 1994 et celui de l’école technique de Murambi le 19 et 20 avril 1994. Or le FPR n’est arrivé à Gikongoro qui était compris dans la zone Turquoise qu’après juillet 1994. Il ne peut donc pas prétendre avoir arrêté un quelconque massacre ou génocide dans Gikongoro. Paroisse Nyange-Commune
Kivumu-Home Saint Jean (Kibuye). Dans le procès de l’Abbé Athanase Seromba (case ICTR-2001-66), le Procureur du TPIR situe la destruction de l’Eglise de Nyange dont il était curé le 15 avril 1994. Dans le procès de Clément Kayishema (case ICTR-95-1), le Procureur situe les dates des tueries au Home saint jean toujours au mois d’avril 1994. Il en est de même des massacres du stade. Le FPR n’arrivera sur les lieux qu’après le recouvrement de son autorité sur toute l’étendue du territoire. Sachant que Kibuye et Cyangugu étaient compris dans la Zone Humanitaire Sûre (ZHS) appelée aussi « Zone Turquoise », il est faux que le FPR prétende avoir arrêté un quelconque massacre ou génocide. De même à Gisenyi
et Ruhengeri, les tueries que relève le Procureur
du TPIR notamment à la « Commune Rouge » (Rubavu)
dans l’affaire Omar Serushago (case ICTR-98-39), la
Cour d’Appel de Ruhengeri dans les affaires Kajelijeli (case ICTR-98-44), Nzirorera
(case ICTR-98-44) et Setako (case ICTR-04-81), le
FPR ne peut prétendre les avoir arrêtés car commis en avril 1994 alors qu’il
n’a conquis ces lieux que début juillet de la même année. Ainsi donc, ni la presse, ni le TPIR ne nous donnent aucune indication de nature à affirmer que le FPR a effectivement empêché ou arrêté un quelconque massacre ou génocide. En attendant que les tenants de cette thèse nous fournissent des éléments tangibles prouvant que le FPR a empêché ou arrêté un quelconque massacre (où, quand, qui comment ?), nous continuerons à croire que cette affirmation n’est qu’un slogan politique produit pour donner une légitimité à une clique d’anciens soldats de l’armée ougandaise qui s’est emparé du pouvoir au Rwanda en 1994. Emmanauel
Neretse. Le 10 avril 2008. |