L'HISTOIRE DE NOTRE AMI LE GENERAL EMMANUEL HABYARIMANA.

Kigali gronde Berne pour des fadaises.


Pour le Rwanda, il est inadmissible que la Suisse ait délivré des visas à des officiers «félons».

Emmanuel Habyarimana est aujourd'hui réfugié en Suisse. Il est l'ancien ministre de la Défense de Paul Kagame . Ce dernier, président du Rwanda, cherche aujourd'hui à faire passer l'ancien militaire pour un félon aux yeux de Berne.

Les autorités rwandaises sont fâchées contre la Suisse. Elles l'ont fait savoir à la délégation helvétique menée par l'ambassadeur Walter Fust, directeur de l'Aide suisse au développement (DDC), qui a visité ce pays en janvier dernier. Une étrange histoire provoque l'ire de Kigali: il y a deux ans, la Suisse aurait généreusement distribué une vingtaine de visas à des opposants au régime de Paul Kagame, président du Rwanda.


Berne aurait notamment permis la fuite de plusieurs militaires de haut rang, dont le général Emmanuel Habyarimana, ancien ministre de la Défense de Paul Kagame. Ce général de brigade porte le même nom que l'ancien chef d'Etat Juvénal Habyarimana, tué lors du crash de l'avion présidentiel en avril 1994, juste avant le génocide hutu contre les Tutsi. L'ex-ministre est accusé de «divisionnisme», c'est-à-dire d'attiser la haine entre Hutu et Tutsi, les deux ethnies du pays. Selon un rapport du Parlement rwandais, cet «extrémiste hutu» aurait dû rendre des comptes et témoigner de ses actions passées.

Roger de Diesbach

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Un certain affolement .

A la fin mars 2003, toujours selon les autorités de Kigali, le général Habyarimana a pris la fuite pour l'Ouganda avec sa maîtresse et deux officiers, le colonel Ndengeyinka, député à l'Assemblée nationale, et le lieutenant Alphonse Ndayambaje. Alors que Berne passe à Kigali pour avare en matière de visas distribués, les fugitifs ont obtenu rapidement quatre visas pour la Suisse. Plus tard, la représentante de la Suisse au Rwanda a reçu l'ordre de délivrer treize visas à différents membres des familles et autres proches des militaires.


Dernièrement enfin, avec les Etats-Unis et d'autres pays européens, la Suisse a accueilli des militants de la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l'homme (LIPRODHOR), traqués par le régime de Kigali. Le rôle courageux de Pierre Combernous, ambassadeur de Suisse au Kenya, en charge du Rwanda, aurait permis d'ouvrir la porte de l'asile à ces militants en fuite. C'est pour cette raison, murmure-t-on, que l'ambassadeur Combernous aurait été prié de ne pas accompagner Walter Fust lors de son périple rwandais, ce qui est peu usuel. A écouter les silences gênés de Berne, on se demande si le conflit du Rwanda ne déchire pas aussi le Département fédéral des affaires étrangères.

Les autorités rwandaises, de leur côté, ont fait savoir à la délégation suisse qu'elles jugeaient inadmissible que Berne ait donné aussi rapidement des visas aux officiers félons. Elles ont ajouté qu'Habyarimana en aurait profité pour rejoindre au Congo l'armée des ennemis du pays. Un certain affolement a soufflé sur la délégation suisse qui a promis de se renseigner, ce qui fut fait sans tarder. Elle s'est dit que l'ordre de distribuer ces visas ne pouvait venir que de très haut, et de lorgner vers les services de renseignements helvétiques...


Autre son de cloche.

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Enquête faite, la réalité est toute différente et c'est l'ancien Office fédéral des réfugiés qui a décidé de délivrer ces visas. Avec raison. Si le président Paul Kagame voulait «écarter» son ministre de la Défense, ce n'est pas parce que ce dernier était rattrapé par son passé «monstrueux». Au contraire, le général devenait de plus en plus populaire dans l'armée et l'opinion publique en majorité hutu. C'est donc bien le rival, et non pas le félon, qu'il fallait écarter avant les élections rwandaises d'août 2003.


Selon la journaliste belge Colette Braeckman, l'une des meilleures observatrices de la scène rwandaise, «le général Habyarimana fut longtemps considéré comme un exemple au Rwanda, tout comme le colonel Ndengeyinka, député à l'Assemblée nationale. Ces deux officiers supérieurs hutu, anciens membres des Forces armées rwandaises (FAR) du régime Habyarimana, étaient parfaitement réintégrés dans la nouvelle armée nationale de Kigali».

La vengeance du régime

Les deux hommes ont tout quitté en quelques heures, craignant d'être arrêtés ou liquidés. Ils ont raconté le 13 juin 2003 leur désappointement au journal «Le Soir». Après s'être engagés dans la réconciliation nationale, ils disent avoir ouvert les yeux face aux coups portés contre de nombreux Hutu modérés qui avaient opté pour le nouveau régime de Paul Kagame. Le premier ministre Twagiramungu a été écarté. Puis il y a eu l'assassinat à Nairobi de Seth Sendashonga, un Hutu également, l'un des fondateurs du FPR (l'organisation militaire de Kagame).

Depuis, le général Habyarimana est réfugié en Suisse et, au Rwanda, la vengeance du régime est retombée sur ses proches. Le 1er avril 2003, un de ses amis, le général Augustin Ngirabatware, avait été arrêté et mis au secret. Damien Musayidizi, son secrétaire lorsqu'il était ministre de la Défense, a «disparu» le 3 avril. Augustin Cyiza, conseiller d'Habyarimana lorsqu'il était ministre de la Défense, militant des droits de l'homme reconnu au niveau international et vice-président de la Cour suprême, a été enlevé à Kigali le 23 avril 2003 et vraisemblablement assassiné. RdD

RdD/DR

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«Kagame doit répondre de ses crimes»


Le général Emmanuel Habyarimana ne se bat pas contre les troupes de son propre pays au Congo. Il est réfugié avec sa famille en Valais, à Sion, et prend des cours à l'Institut européen de l'Université de Genève.

«La Liberté»: Selon le gouvernement Kagame, vous seriez un extrémiste hutu, dangereux pour l'unité nationale?

Emmanuel Habyarimana:


- Lorsque j'étais réfugié à Kampala, ils m'ont même traité de génocidaire. Durant l'ancien régime du président Juvénal Habyarimana, avec lequel je n'ai aucun lien de parenté, j'ai été jeté en prison, le 27 octobre 1990. J'y suis resté une année pour intelligence avec l'ennemi, c'est-à-dire avec le FPR de Paul Kagame, actuel président du Rwanda, avant de passer devant un conseil de guerre qui m'a blanchi. Bien que je sois diplômé de l'Ecole royale militaire de Belgique, ils n'ont pas voulu me réintégrer dans l'armée. De fin 1991 à 1994, j'ai été directeur des sports.

Et pendant le génocide?

- Quand la guerre génocidaire a éclaté en 94, j'étais au nord-est du Rwanda, à Nyagatare, où plus de 20 000 fugitifs tutsi étaient regroupés. J'ai été réintégré dans l'armée alors même que Kigali envoyait des autobus de militants chargés de massacrer ces Tutsi. J'ai refoulé les tueurs et sauvé ces réfugiés, leur permettant de s'enfuir vers l'Ouganda voisin. Après diverses mésaventures, je me suis retrouvé à Kigeme où les massacres avaient déjà commencé. On a arrêté les tueries et protégé les fugitifs. Avec d'autres officiers, nous avons publié la Déclaration de Kigeme contre le génocide, mais aussi contre les massacres du FPR qui tuait depuis 1990 chaque fois qu'il passait quelque part. En juillet 94, le gouvernement hutu a levé contre nous une expédition punitive. Nous avons été attaqués par la garde présidentielle et sauvés de justesse par les Français de l'opération «Turquoise».

Vous auriez pu demander l'asile en Europe?

- Oui. Mais je suis rentré à Kigali le 29 juillet 94. Après trois mois de camp de réadaptation, j'ai été réintégré dans les rangs de l'Armée patriotique rwandaise, la branche armée du FPR. J'ai représenté l'armée à l'Assemblée nationale et réorganisé la justice et l'administration militaire. J'ai travaillé directement avec Kagame. Il m'exploitait mais je n'en souffrais pas car j'avais l'impression de participer à la stabilisation du pays. Secrétaire général, puis secrétaire d'Etat, je suis devenu ministre de la Défense lorsque Kagame a quitté ce poste pour devenir président.

Et les problèmes ont commencé?

- J'ai réorganisé le statut des militaires et me suis opposé à l'avancement que Kagame voulait donner à des Tutsi ougandais, des officiers de sa famille ou des proches qui avaient du sang sur les mains, comme Fred Ibingira nommé général de la Division Kiga-Kitarama alors qu'il a été condamné pour les massacres de Kibeho. C'est aujourd'hui le bras droit du président. Je me suis aussi opposé à la poursuite des tueries au Congo et me suis battu pour le respect des droits de l'homme, de l'Etat de droit et de la justice. Une loi qui introduisait le Forum des partis stipulait qu'un parti politique ne pouvait se réunir que sous les auspices du FPR. J'ai dit ouvertement que c'était le début du totalitarisme. Je me suis aussi opposé à la privatisation et à la vente à des proches de Kagame de plantations de thé. Créées il y a trente ans, elles appartenaient à la population.

Vous deveniez pour Kagame un rival dangereux?

- Kagame a eu peur que je pose ma candidature aux élections d'août 2003, alors qu'il savait que je n'étais d'aucun parti politique. Soldat d'abord, je n'avais d'ailleurs pas le droit d'adhérer à un parti. Au Rwanda, les Hutu sont bien plus nombreux que les Tutsi. Ma candidature et ma respectabilité pouvaient donc représenter un risque pour le président tutsi. Ils m'ont accusé de «divisionnisme», moi qui lutte depuis toujours pour la réconciliation. Sous Habyarimana, j'ai obtenu que des Tutsi soient réintégrés dans l'armée. J'ai fait de même pour des militaires hutu sous Kagame.


Propos recueillis par RdD

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«La Suisse doit s'investir pour la paix»

Dans la nuit du 1er avril 2003, averti de sa proche arrestation par une dame tutsi, Emmanuel Habyarimana prend la fuite à pied pour l'Ouganda avec deux officiers. La dame a fait de même deux semaines après, déguisée en bonne soeur. «Mais à Kampala, on a refusé de nous garder en Ouganda», explique-t-il. «Nous avons demandé des visas à plusieurs pays. Comme la Suisse a réagi la première, nous avons pris l'avion pour Genève d'où l'on nous a conduits au Centre de Vallorbe, puis en Valais. Nous avons depuis lors reçu l'asile politique et obtenu 13 visas au nom du regroupement familial.» Aujourd'hui, l'ex-ministre se dit heureux de l'accueil que la Suisse lui a réservé. «Mais je pense que votre pays devrait s'investir pour le rétablissement de la paix dans la région des Grands Lacs.»


Amer, découragé, il ne l'est pas. «Je suis convaincu que la justice finira par triompher. Paul Kagame est un criminel qui devra répondre un jour de ses crimes, tout comme les génocidaires. Il ne pourra pas y avoir de réconciliation au Rwanda tant que l'impunité régnera.» RdD

 


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