Le 28 janvier 1961 : Fête de
la démocratie.
par F. Rudakemwa
«Plus on connaîtra l'histoire, plus le
ressentiment s'effacera» (Marc
Ferro).
Fin 1960-début 1961, par des attaques
terroristes sur le territoire rwandais, des mensonges, des intrigues, des
recours et des pétitions à l’étranger et notamment à l’ONU, les extrémistes du
parti tutsi UNAR (Union Nationale Rwandaise) étaient sur le point de réussir à
réduire à néant tous les acquis de la révolution sociale de novembre 1959.
Grégoire Kayibanda et ses compagnons de lutte
passèrent la journée du 25 janvier 1961 à Gitarama à
réfléchir sur les voies et moyens de conjurer à tout jamais cette éventualité
tant redoutée.
À une heure insolite, 22h00 du soir, Kayibanda était à Kigali. Il frappa à la porte de la
maison du colonel B.E.M Logiest,
Résident spécial du Rwanda. C’est qu’il voulait lui demander d’aider les
nationalistes Bahutu à accomplir une action d’éclat
qui taillerait l’herbe sous les pieds des unaristes
extrémistes, nostalgiques et réactionnaires. “Quelle
est cette action?” s’enquit le Résident. “Rassembler à Gitarama tous les élus des consultations communales
d’octobre 1960 ”, répondit Kayibanda. Il poursuvit en expliquant que à l’ordre du jour de ce congrès
des représentants du peuple figureraient :
·
L’abolition de la
monarchie et la proclamation de la république
·
La suppression de Karinga et son remplacement par un drapeau national
·
L’élaboration d’une
constitution et la mise sur pied d’institutions républicaines : présidence,
gouvernement et parlement (Guy LOGIEST, Mission au Rwanda. Un Blanc dans la bagarre tutsi-hutu, Editions Didier Hatier, Bruxelles, 1988,
pp. 188-190).
La
Résidence fournit l’appui matériel, les élus d’octobre 1960 firent tout le
reste, c’est-à-dire tout ce qui avait été prévu à l’ordre du jour.C’était le 28 janvier 1961 sur la place du marché
public de Gitarama. L’UNAR
comprit qu’il s’était politiquement suicidé en boycottant les élections
d’octobre 1960.
En parlant des évènement de ce jour, Alexis Kagame dit : “…Au cours de cette journée du
28 janvier 1961, les autorités rwandaises posèrent un tournant décisif sans
précédent dans notre Histoire. L’évènement dépassait en signification le but
immédiat que les acteurs avaient en vue. Il importe peu qu’il y ait eu des
leaders éclairés et des broussards semi-lettrés, des
politiciens passionnés et des froidement calculateurs…Ce qui importe pour
l’Historien, c’est l’événement considéré en lui-même et dans ses effets…Comme
la suite devait le démontrer, en effet, l’ONU ne réussira pas à défaire
la situation ainsi créée et le nouvel ordre s’imposera définitivement”
(Alexis KAGAME, Un abrégé de l’histoire du Rwanda de 1853 à 1972,
Ed. Universitaires du Rwanda, Butare, 1975, p. 311).
Proclamé “Fête nationale”, le 28 janvier dut
céder cet honneur au 1 juillet (1962), date à laquelle le Rwanda recouvrait son
indépendance.
La seconde république (1973-1994) commettra, entre autres erreurs lourdes de
conséquences, celle de supprimer la fête de la démocratie du 28 janvier.
Jusqu’aujourd’hui, elle n’a pas encore été rétablie alors qu’elle devrait
l’être. Pour la bonne raison qu’ils sont nombreux les hommes et les femmes qui
se lancent en politique par ambitions personnelles ou par désir sincère de
servir la nation et le peuple. La démocratie est l’unique règle pour les
départager. N’est-il pas beau voir Nicolas Sarkozy, un juif chrétien, fils
d’immigrés hongrois devenir président da la république française ? Cela n’est
possible qu’en démocratie. N’est-il pas beau voir Barack
Obama, un métis, fils d’un kényan
et d’une américaine du Kansas devenir sénateur de l’Illinois et se lancer dans
la course à la Maison Blanche avec des espoirs bien fondés de toucher au
but ? Cela n’est possible qu’en démocratie. La démocratie est l’un des
préalables incontournables pour tout autre développement ultérieur.
« Que ceux qui disent que la démocratie
est impossible dans nos pays nous indiquent le régime qui nous convient. Une
monarchie sacrée théocratique qui n’est même pas constitutionnelle ? Une
partitocratie ? Une dictature militaire ? La domination et
l’oppression d’une minorité par une majorité ou l’inverse ? Quel est le régime qui nous convient, sinon la
démocratie ? Il y eut un temps où certaines personnes pensaient que les
Noirs étaient tellement forts qu’ils pouvaient supporter une opération
chirurgicale sans anesthésie. Il y en a encore aujourd’hui pour penser qu’on
peut les gouverner sans démocratie. « Démocratie bien comprise, à l’africaine,
bonne gouvernance, proportionnelles, collèges électoraux, grands électeurs,
alternance… » sont là autant de discours et de
manœuvres dilatoires pour retarder l’avènement de la démocratie de la part de
qui a intérêt à le faire.
Mais, ce sont aussi autant d’euphémismes
pour dire que la démocratie est le moins mauvais de
tous les systèmes de gouvernement. Les débuts sont difficiles, oui.
L’apprentissage de la démocratie le sera aussi. Mais, allons-nous jeter un
enfant qui marche encore à quatre pattes en arguant qu’il ne saura jamais
marcher debout et droit sur les deux jambes ? De l’Occident nous importons
tout ou presque : armes et munitions, produits alimentaires, technique,
certaines valeurs et modes de penser, etc. Dirons-nous que, de tout ce qui
vient de l’Occident, seule la démocratie ne nous convient pas ? » (F. Rudakemwa,
À la recherche de la vérité historique pour une réconciliation nationale, Ed.
L’Harmattan, Paris, 2007, p. 13).
Rome, le
22 janvier 2008
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