Par Benjamin
LEGENDRE et Nathalie ALONSO
Paris
(AFP) - Vingt-trois ans après le génocide au
Rwanda, la justice refuse de faire
entendre les anciens plus hauts responsables militaires
français dans l'enquête
sur de possibles responsabilités de l'armée en
marge du massacre de Bisesero,
une décision qui rompt selon les parties civiles l'espoir
d'un procès.
Dans
sa décision du 31
octobre, la cour d'appel de Paris, confirmant un
précédent
refus du juge, n'a pas jugé nécessaire
d'auditionner l'ex-amiral Jacques
Lanxade, l'ancien chef d'Etat-Major, et son adjoint de
l'époque, l'ex-général
Raymond Germanos,
comme le réclamaient l’association Survie, la
Fédération
internationale des droits de l'homme (FIDH et LDH) et les autres
parties
civiles.
Depuis
2005, elles accusent la force militaire française Turquoise
d'avoir sciemment
abandonné aux génocidaires ralliés au
pouvoir gouvernemental Hutu, qui
bénéficiait d'un soutien ancien de Paris, des
centaines de Tutsi des collines
de Bisesero, du 27 au 30 juin 1994. Le génocide fera 800.000
morts selon l'ONU,
très majoritairement Tutsi.
"Ce
refus de rechercher toutes les responsabilités
éventuellement engagées, y
compris celles des plus hauts responsables de
l’armée française, compromet
gravement l’enquête", affirment jeudi les trois
associations parties
civiles, dans un communiqué. Avec à leurs yeux,
une probable conséquence:
"cette décision pourrait ouvrir la voie à un non lieu judiciaire".
Cet
acte "montre que si la justice enquête, elle le fait +pour
l’histoire+ et
non dans la perspective de mises en examen et encore moins
d’un procès",
s'insurgent Fabrice Tarrit, co-président de Survie, et leur
avocat Olivier
Foks, joints par l'AFP.
Les
rescapés, à l'origine de la plainte en 2005,
affirment que les militaires
français leur ont promis le 27 juin 1994 de les secourir,
pour ne le faire
finalement que le 30, après l’intervention de
journalistes et l’initiative
personnelle de certains militaires, selon les associations. Pendant cet
intervalle
de trois jours, des centaines de Tutsi ont été
massacrés dans ces collines de
l'ouest du Rwanda.
Depuis
le 22 juin 1994, la force Turquoise, déployée
sous mandat de l'ONU, avait pour
"premier objectif", selon les ordres d'opération du
général Germanos,
de "mettre fin
aux massacres", en cours alors depuis deux mois et
demi, "éventuellement en utilisant la force".
L'enquête,
instruite au pôle crimes contre l'humanité
à Paris, semble démontrer, d'après
des écrits, que la découverte des
réfugiés le 27 était connue des
autorités
françaises avant l'intervention militaire du 30, selon une
source proche du
dossier.
Mais
d'après cette source, le juge, qui a acté ce
refus d'auditions fin août, a
estimé que la question de savoir si le défaut
d'intervention des militaires
pendant ces trois jours constitue un acte de complicité de
génocide "ne
concerne que les officiers qui ont déjà
été entendus", tous membres de la
force Turquoise, car ils bénéficiaient, au vu de
"la chaîne de
commandement", de suffisamment d'autonomie vis-à-vis de
l'Etat-Major à
Paris.
-
"Sous-estimation" -
Au
terme de son audition en janvier 2016, le chef de la force Turquoise,
le
général Jean-Claude
Lafourcade, a été placé
sous le statut intermédiaire de
témoin assisté, tout comme trois de ses
subordonnés avant lui, échappant ainsi
à des mises en examen. Devant le juge, le
général Lafourcade avait contesté
avoir failli à Bisesero, soulignant le contexte de
"sous-estimation
générale" de la situation à
l'époque. "Il a fallu un certain temps
pour comprendre la réalité du génocide
en constatant (...) la présence des
charniers, des villages brûlés", avait-il
déclaré.
Depuis
ces auditions, "l'enquête
est quasiment au point mort", selon M.
Tarrit. Les associations déplorent "que nombre
d’auditions demandées en
2015 n’ont pas eu lieu et que des documents essentiels
à la compréhension des
événements n’ont pas
été communiqués par le
ministère de la Défense".
Les
parties civiles ont ainsi réclamé, sans
succès depuis deux ans, l'audition de
François
Léotard, alors ministre de la
Défense, et la confrontation des
officiers déjà mis en cause
Cette
enquête, emblématique de la controverse sur le
rôle de la France lors du
génocide a depuis un an son pendant au Rwanda: en novembre
2016, Kigali a lancé
une procédure contre 22
officiers français accusés
d'implication dans le
génocide, dont l'ex-amiral Lanxade et
l'ex-général Lafourcade.
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