MEMORANDUM DES QUARANTE TUTSI ET BANYAMULENGE

DE KINSHASA ADRESSE AU MARECHAL MOBUTU, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DU ZAIRE -

 

Kinshasa, le 10 juillet 1995

 

Excellence Monsieur le Président de la République,

 

01. A nous, signataires de la présente, membres des Communautés tutsi et banyamulenge résidant à Kinshasa et nous exprimant aussi bien au nom de nos frères de l'intérieur du pays qu'en notre nom propre, conscients et fiers de notre appartenance incontestable à la communauté nationale zaïroise d'origine, l'honneur échoit de vous adresser la présente.

 

Par cette démarche, nous entendons vous inviter à prendre une initiative politique, dans la forme qu'il vous plaira, destinée à faire échec à une certaine subversion parlementaire observée ces derniers mois au Haut Conseil de la République - Parlement de Transition et révélée à l'opinion publique par la publication du Rapport VANGU durant la semaine du 24 au 30 avril 1995.

 

02. En certaines de ses conclusions, ce rapport est manifestement irresponsable, subversif, provocateur et anti-national, dans la mesure où il préconise la reconduite à la frontière de certaines populations établies au KIVU, au motif qu'elles seraient étrangères, alors qu'à l'évidence, elles sont nationales. Ce faisant, les membres de la Commission VANGU ont inconsidérément conduit le Hcr-pt (Haut Conseil de la République - Parlement de transition) à mettre inconsciemment en péril notre Nation et son unité. C'est-à-dire les valeurs essentielles incarnées de façon éminente par le Président de la République qui en est le symbole et le garant, au terme des dispositions de l'article 39 de l'Acte constitutionnel de la Transition. Par conséquent, nous sommes persuadés que vous vous investirez à convaincre la majorité parlementaire qui vous est acquise, mais qui a été abusée par des commissaires sans foi ni loi, de s'abstenir de piétiner les valeurs qui fondent votre fonction, d'éviter de porter atteinte à l'unité de notre Nation si chèrement conquise

et, au contraire, de prononcer publiquement le désaveu d'une Commission VANGU dévoyée et qui a trahi la bonne foi du Hcr-Pt.

 

03. En effet, plusieurs assertions contenues dans le rapport de la Commission VANGU ainsi que bon nombre d'interventions en plénière, principalement celles des conseillers de la République membres de certaines ethnies du KIVU qui revendiquent pour elles seules la qualité d'autochtones, ont conduit l'organe législatif de la transition à entériner une position inadmissible. Celle qui pose le principe selon lequel, quels qu'ils soient et quelles que soient les circonstances ou l'époque de leur établissement au Kivu, Hutu, Tutsi et Banyamulenge doivent être considérés - ès qualité - comme immigrés ou réfugiés, c'est-à-dire comme étrangers, Rwandais ou Burundais.

 

Il en découle qu'ils ne sauraient prétendre à la nationalité zaïroise autrement que par la naturalisation individuelle. Faute de celle-ci, ils devraient faire l'objet de reconduite à la frontière, exactement comme les réfugiés ou les clandestins. C'est, à tout le moins, l'esprit de la résolution prise par le Hcr-Pt en matière de nationalité.

 

04. Nous considérons que de telles prises de position violent formellement les dispositions de l'article 27, alinéa 3, de l'Acte constitutionnel de la transition. Car, il s'agit des actes de provocation qui incitent à la violence, à l'intolérance, à l'exclusion et à la haine pour des raisons d'appartenance ethnique et qui sèment la discorde entre nationaux.

 

C'est pourquoi, nous exhortons vivement le Président de la République à considérer comme contraires à la constitution les conclusions de la Commission VANGU, en ce qu'elles prônent l'exclusion des populations nationales et à en tirer toutes les conséquences qui s'imposent sur le plan juridique et éventuellement sur le plan judiciaire.

 

05. Car, que le Parlement prenne la décision d'enjoindre au gouvernement de reconduire hors des frontières nationales des personnes ou des populations étrangères entrées clandestinement ou réfugiées sur le territoire du Zaïre passe encore. Le pays est souverain. A la limite, concernant les réfugiés, la seule querelle prévisible est d'ordre diplomatique, étant donné les obligations résultant des accords internationaux auxquels le Zaïre a souscrit.

 

En revanche, que le Hcr-Pt prenne sur lui la terrible responsabilité de déclarer étrangères des populations zaïroises conscientes et fières de l'être et contraigne le gouvernement à les expulser, voilà un cas de figure inédit de par le monde. Il laisse pantois, mais il ne peut rester sans conséquences graves.

Car, ce n'est rien moins qu'une incitation à la violence et à la guerre civile.

 

06. Le 26 mai 1981, lors d'une session du Comité Central de l'ancien Parti-Etat, vous avez proclamé l'urgence et la nécessité de savoir "qui au Zaïre est Zaïrois et qui ne l'est pas" et vous aviez raison. Mais depuis lors, cette interrogation n'a cessé d'alimenter une controverse malheureuse qui empoisonne les relations interethniques au KIVU. Parce qu'à une question présidentielle pertinente, des politiciens immatures ont voulu réserver une réponse absurde. Qui est Zaïrois et qui ne l'est pas ?

 

Lorsque la naissance de l'Etat Indépendant du Congo fut annoncée le 1er août 1885, il apparut que certaines de ses limites étaient déjà connues et reconnues. Il va de soi que, déjà à ce moment là, pouvaient être considérés comme Zaïroises les populations englobées dans ces limites-là, même si, dans la plupart des cas, elles avaient été tracées à leur insu ou contre leur gré. C'est pourquoi les dispositions légales ont retenu comme référence originelle de législation sur la nationalité zaïroise la date du 1er août 1885.

 

Mais l'histoire nous apprend aussi qu'à la même date d'autres frontières de l'EIC étaient tout à fait théoriques, car ni connues ni reconnues. C'est le cas de celles du KIVU qui n'allaient l'être qu'aux termes de la Convention de Bruxelles du 14 mai 1910. Il est évident que c'est seulement à cette date que les populations établies à demeure au KIVU sont devenues véritablement et indistinctement zaïroises.

 

C'est pour cette raison que les dispositions légales sur la nationalité zaïroise d'origine par appartenance ont également retenu les dates des conventions subséquentes au 1er août 1885 comme référence originelle.

 

Par conséquent, le seul problème est celui de savoir si, en l'occurrence, nos communautés sont concernées par cette convention du 14 mai 1910 et que c'est à juste titre qu'elles prétendent à la nationalité zaïroise d'origine par appartenance.

 

07. A cette préoccupation, nous répondons "oui" sans l'ombre d'une hésitation. Pour s'en convaincre, il suffirait aux instances supérieures du pays, soucieuses de faire éclater la vérité, de mettre sur pied une commission technique composée de juristes et d'historiens chevronnés. Grâce à une abondante littérature ethno-historique et aux archives coloniales ou missionnaires disponibles sur le sujet, une telle commission ne tarderait pas à faire la démonstration de la justesse et de la légitimité de notre prétention et par là même de la mauvaise foi ou de l'incompétence des membres de la Commission VANGU.

 

08. A titre d'exemple : au début du siècle, lorsqu'administrate urs coloniaux et missionnaires catholiques se sont installés dans le territoire de Rutshuru (dont Nyragongo et Goma faisaient partie jusqu'en 1953), ils ont trouvé des populations dont ils nous ont laissé une description bien précise. Elle ne laisse aucune ambiguïté quant à leur appartenance ethnique.

 

Ainsi, Monsieur Nyblom, chef de zone au poste d'Etat de Rutshuru, note en date du 12 mars 1911 que : "peu d'indigènes connaissent la langue kiswahili, la langue parlée dans la région est la "kiniaruanda" (sic)" (archives diocèse de Goma).

 

Pour sa part, le Père Albert Smulders, fondateur de la Mission catholique de Rugari, la première à avoir été fondée au Nord-Kivu, le 06 juin 1911, fait rapport à son Evêque, Mgr Roelens résidant à Baudouinville en ces termes : "la population renferme des Watutsi et Wahutu. Les Watutsi sont en minorité et ne jouent pas ici le grand rôle politique qu'ils jouent au Rwanda." (cfr. rapport annuel du 20 novembre 1911.)

 

09. Concernant la frontière zaïro-burundaise, Mgr Roelens relate les faits suivants dont il fut averti à Baudouinville où il résidait et dont il avait fondé la Mission catholique en 1893 : "C'était en 1895. Le Baron Von Goëtzen avait découvert le Lac KIVU et ne tarissait pas d'éloges sur la contrée et sa nombreuse population. Cette année-là, les agents de l'EIC tentèrent de pénétrer jusqu'au KIVU en vue d'occuper le pays. Vers le milieu de la plaine de la Ruzizi (déversoir des eaux du lac KIVU dans le Tanganyka), ils se heurtèrent à une fraction des Barundis établis en cet endroit. Ils durent faire usage de leurs armes et bon nombre de Noirs restèrent sur le champ de bataille. Devant l'impossibilité d'occuper la région sans grande effusion de sang, les agents de l'Etat y renoncèrent provisoirement, espérant d'entrer en relation pacifique avec les indigènes." (cfr. Mgr Roelens, Notre vieux Congo, 1891-1917, vol. I, p. 57).

 

Effectivement, plus tard, ils purent s'installer avec l'accord des autochtones Barundi dont ils reconnurent le chef Kinyoni. En 1929, ils l'investirent en qualité de chef médaillé de la collectivité Barundi.

Les magouilleurs politiciens d'aujourd'hui ont entrepris de la destabiliser et de proposer sa suppression au motif qu'elle doit son existence à des étrangers.

 

10. D'autre part, par décret du 02 mai 1910 portant réorganisation des chefferies indigènes, l'autorité coloniale, consciente du préjudice porté à l'homogénéité des populations indigènes par les nouvelles délimitations frontalières, autorisa des mouvements migratoires de part et d'autre des frontières. Ainsi, l'article 3ème disposait que "les indigènes qui viendront ultérieurement des colonies limitrophes feront partie de la chefferie et de la sous-chefferie où ils fixeront leur résidence" (cfr. B.O. du Congo Belge, 1910, pp. 456-471). Par ailleurs, à la fin de la première guerre mondiale (1914-1918), qui vit la défaite de l'Allemgane, les possessions allemandes du Rwanda et du Burundi furent placées sous mandat, puis sous tutelle de la Belgique. Elles furent réunies sous l'appellation de "Territoire du Rwanda-Urundi" . Par la loi du 21 août 1925, ce territoire fut "uni administrativement à la colonie du Congo Belge dont il forme un vice-gouvernement général. Il est soumis aux lois du Congo Celge" (article 1er). En conséquence les droits reconnus aux Congolais par les lois du Congo s'appliquent, suivant les distinctions qu'elles établissent, aux ressortissants du Ruanda-Urundi" (article 5ème).

 

11. En vertu de ces dispositions, le Congo et le Ruanda-Urundi ont vécu, jusqu'au 30 juin 1960, des liens juridiques et politiques exceptionnellement privilégiés qui n'existaient avec aucun autre pays limitrophe : monnaie unique, force publique unique, administration unique, etc.

 

Dans ce cadre, de 1937 à 1954, l'autorité coloniale incita des populations du Ruanda-Urundi à émigrer au KIVU, spécialement dans la zone de Masisi. Ce fut le programme MIB ou Mission d'Immigration Banyarwanda. Les familles transférées rompaient tout lien administratif et politique avec le territoire sous-tutelle et recevaient une nouvelle carte d'identité qui en faisait des Congolais à part entière.

 

Dès 1940, elles furent constituées en chefferie indigène de Gishari sous l'autorité d'un chef médaillé tutsi, Joseph BIDERI, remplacé peu après par Wilfrid BUCYANA. Nous ne craignons donc pas d'affirmer que, dans son interview-justifica tion parue dans "Umoja", livraison du 27 juin 1995, p. 4, Monsieur VANGU MAMBWENI fait étalage de toute son incompétence ou de sa mauvaise foi lorsque, pour étayer ses prises de position incongrues, il tente d'assimiler les populations zaïroises originaires du Ruanda-Urundi aux Ouest-Africains résidant au Congo Belge. Comment peut-on raisonnablement placer sur le même pied d'égalité une immigration massive initiée par une autorité légalement établie et qui procède d'une volonté politique officiellement délibérée, d'une part et d'autre part des péripéties migratoires individuelles qui ne relèvent que de la police des étrangers ?

 

12. De toute manière, ce n'est pas à vous, Monsieur le Président, que des apprentis politiciens fraîchement débarqués dans l'enceinte parlementaire de la zone de Lingwala feront avaler leurs sornettes, comme si, après 30 années passées à la tête du Zaïre, vous n'aviez pas encore pris l'exacte mesure de l'histoire de votre peuple.

 

Souvenez-vous, Monsieur le Président. Au mois d'août 1993, lors d'une audience que vous aviez bien voulu accorder aux représentants des communautés ethniques à Goma, vous avez évoqué la question de la nationalité zaïroise d'origine par appartenance à l'aide d'une métaphore exceptionnellement éloquente tant elle était marquée au coin du bon sens le plus élémentaire. A supposer, disiez-vous, qu'un baptême général soit programmé dans telle paroisse, tel jour à 12h00' et que la fermeture des portes doive intervenir à 11h50'. Parmi les catéchumènes, certains sont arrivés à la paroisse dès 6h00' du matin, d'autres à 10h00', et d'autres encore à 11h45'. Aussitôt le baptême donné, quelqu'un peut-il raisonnablement que seul celui de nouveaux chrétiens arrivés dès 6h00' est valide et que celui de tous les autres est douteux ou nul ? Evidemment non. Ainsi, expliquiez-vous, sous le régime colonial, tous les Zaïrois étaient comme des catéchumènes attendant le baptême, c'est-à-dire l'indépendance.

Proclamée le 30 juin 1960, c'est elle qui a donné naisance à la nationalité zaïroise à laquelle tous les Zaïrois ont accédé en même temps et dans les mêmes conditions.

 

Par Zaïrois, il faut entendre quiconque possédait le statut de Congolais à la date du 30 juin 1960, dès lors que ce statut lui était reconnu aussi bien par l'administration publique que par la population administrée, que de notoriété publique il se comportait en tant que tel et qu'il ne possédait aucune autre nationalité. C'est clair, c'est net.

 

13. Mais, selon toutes les apparences, les membres de la Commission VANGU ne font pas la même lecture des textes que vous, Monsieur le Président. Manifestement ils se sont fourvoyés dans la confusion entre les notions de nationalité et d'ethnie.

 

La raison de leurs errements saute aux yeux. Elle est dans la composition même de la Commission VANGU. Certes, son rapport est une oeuvre collective et, en ce sens, il requiert la solidarité formelle de tous les 10 membres de la commission. Il n'en demeure pas moins qu'il est d'abord et avant tout le fruit de l'activisme politique de 4 hommes alliés pour la circonstance : Célestin ANZULUNI, VANGU Mambweni, Faustin KIBANCHA et Jean-Baptiste BIRHUMANA. Ressortissants du KIVU ou ayant exercé des responsabilité s territoriales dans cette région, ils étaient censés mieux connaître les sujets à traiter. C'était oublier la haine viscérale que les uns et les autres vouent aux Tutsi et aux Banyamulenge, haine tombée dans le domaine public depuis les assises de la Cns.

 

VANGU Mambweni ne s'en cache même pas. Dans l'interview à "Umoja" susmentionnée, il fait un aveu de taille : "le lobby tutsi a sauté sur mon indiscrétion pour me déplacer du Nord-Kivu et pour rayer mon nom de la territoriale. C'était une façon de me tuer sur le plan politique."

En somme, VANGU s'est vengé. Quant à KIBANCHA et BIRHUMANA, tous deux illustrent à merveille l'excès de zèle de ceux qui, pour mieux camoufler leurs origines rwandaises, veulent se montrer plus Zaïrois que les Zaïrois. Leur présence au sein de la Commission VANGU n'était pas due au hasard, mais bien au soin particulier que Monsieur ANZULUNI Bembe, président a.i. au Hcr-Pt, qui les connaît bien et partage leur haine, a mis à les sélectionner afin d'être sûr que la commission produirait un travail conforme à ses propres attentes. Ils ne l'auront pas déçu dans la mesure où ils lui ont donné l'illusion que le compte des BANYAMULENGE, objet de ses ressentiments, est définitivement réglé, en même temps que celui des Barundi de la plaine de la Ruzizi et celui des Hutu et Tutsi zaïrois du Nord-Kivu.

 

14. Il ne faut donc pas être grand clerc pour comprendre que le rapport VANGU est, à titre principal, un tissu de règlement de comptes interethniques sur fond de compétition politique. Il fallait aux conjurés l'élimination à tout prix des concurrents politiques, non pas loyalement sur le terrain électoral devant le peuple, mais sur le tapis vert des combinaisons politiques kinoises.

 

D'où la fabrication d'un rapport VANGU qui, à mille lieues, sent fortement l'outrance, le fanatisme, la provocation, la haine et une incroyable xénophobie. D'où un discourséminemment irresponsable qui témoigne de l'étendue du désastre moral dont est atteinte notre classe politique.

La rumeur y supplante l'information, le témoignage oral incontrôlable ou le tract y écrasent le document écrit irréfutable, les idées reçues le disputent aux clichés les plus éculés, les affirmations gratuites ou péremptoires y voisinent avec les affabulations les plus farfelues, lavacuité ou l'absence de la preuve y jouxte la vanité de l'argument, les approximations y tiennent lieu de certitudes, la rationalité y subit la loi de l'affectivité , et, suprême infamie, alors que la vérité s'y trouve crucifiée, le mensonge y est érigée en dogme.

 

15. Quelques exemples tirés de ce document irresponsable, provocateur et mensonger :

 

15.1. Un conseiller de la République respectable et respecté comme l'honorable RWAKABUBA Shinga, représentant la zone de Rutshuru est bassement calomnié par ses jeunes collègues de la Commission VANGU dont certains étaient à peine nés, lorsque ce notable siégeait déjà au sein de la représentation populaire, au niveau local, provincial ou national. Car, comme par hasard, cet aîné a été élu lors de toutes premières élections organisées pour les Congolais en 1959 par le pouvoir colonial. Depuis, il n'a cessé de siéger dans les instances parlementaires du pays.

 

Il est inadmissible que sa nationalité zaïroise soit mise en cause seulement aujourd'hui par une commission composée de recrues parlementaires aigries et vindicatives. Il s'agit d'une provocation que ressentent très mal les populations représentées par ce notable.

 

15.2. On nous prête l'intention de vouloir créer tantôt la "République des Volcans", tantôt la "République des Grands Lacs" et maintenant "les Etats-Unis d'Afrique centrale" (p. 159). Bref, on ne s'aperçoit pas qu'il y a incohérence à nous faire vouloir à la fois une chose et son contraire : être Zaïrois et créer un autre Etat. Tout cela c'est des fantasmes politiciens dont, de toute manière, le SNIP devrait déjà avoir établi le caractère non crédible, puisqu'ils ne reposent sur aucun élément fiable.

 

15.3. "La commission pense que n'eût été la présence de feu Barthélémy BISENGIMANA dans la haute sphère politique zaïroise, cette loi (de 1972) sur la nationalité n'aurait jamais existé." (p. 158).

 

Voici un exemple-type d'une affirmation péremptoire et méprisante vis-à-vis de nos propres institutions. Les principes directeurs de cette loi ont été dégagés au cours d'une réunion du Bureau Politique du MPR tenue sur l'ITB Moulaert, le 28 juillet 1970 (cfr Azap du 1er août 1970, et rendus publics par son directeur politique, Prosper MADRANDELE, le même jour. Ensuite un projet de loi fut préparé par le gouvernement, puis soumis au vote de l'Assemblée nationale avant d'être promulgué par le Chef de l'Etat, en tant que loi n° 72-002 du 05 janvier 1972. N'est-ce pas faire injure à tous ces animateurs de nos institutions d'alors, hommes de très grande honorabilité et de très forte personnalité, que de les présenter comme des marionnettes manipulées par un seul homme, fut-il directeur du bureau du Chef de l'Etat ? C'est trop débile que de l'imaginer un seul instant. En quoi le Parlement de l'époque qui était entièrement composé de députés élus au suffrage universel direct est-il moins méritant que celui d'aujourd'hui composé de députés désignés par la classe politique et qui, à ce titre, devraient être plus circonspects dans leurs décisions majeures ?

 

15.4. Toute l'analyse de la Commission VANGU sur le phénomène des "inflitrés clandestins et réfugiés" (pp. 155 à 156) se limite au seul cas, d'ailleurs non exemplaire, de l'honorable KALEGAMIRE, doyen du Hcr-Pt. Ce qui, vu l'ampleur du phénomène, surtout au Nord-KIVU, prouve le caractère vindicatif du rapport et corrobore la thèse qui en fait un tissu de règlement de comptes.

 

15.5. Les "attendus" et les "considérants" du rapport VANGU tombent "ex-abrupto" . Ils ne sont étayés par aucune déclaration des individus ou groupes d'individus reçus en audience par la commission, par aucun document fiable, écrit ou enregistré. Ils sont pure spéculation du rédacteur du rapport.

 

Ainsi, quand celui-ci écrit : "la stratégie de l'émigration" (p. 170) ou de la palestinisation des Hutu à laquelle "tous les Tutsi des organisations internationales doivent veiller" (ibidem) ou encore de "l'alliance Bujumbura-Kigali conclue entre les Tutsi pour la mise sur pied de l'entité Tutsiland, espace géographique couvrant le Rwanda, le Burundi, une partie de l'Uganda, la région du Nord-KIVU et la région du Sud-KIVU caractérisée par l'émergence de l'hégémonie Hima dans la région des Grands Lacs" (ibidem), il atteint proprement le délire; ça n'apparaît nulle part dans les déclarations recueillies tout au long de la mission.

 

15.6. L'allusion au "greffier principal de la Cour suprême de justice" pour étayer l'usurpation de la nationalité zaïroise, atteste, si besoin en était encore du caractère "règlement de comptes" du rapport. Car, en dehors de la simple dénonciation, rien ne corrobore l'affirmation de la commission.

 

16. Nous voudrions ajouter, Excellence Monsieur le Président de la République, la chose suivante : au Nord-KIVU comme au Sud-KIVU, la politique est caractérisée par des affrontements durs, parfois sanglants et par la diabolisation ou l'exclusion mutuelle, à la fois au niveau des individus et des groupes.

Il n'est pas spécialement indiqué que les institutions nationales prennent le parti des uns contre les autres. Il serait plus sage de renvoyer tout le monde à la table de négociation et de recommander aux uns et aux autres un minimum de sagesse, d'intelligence et de réalisme politique. Ce sera la seule condition de la stabilité, de la paix et du développement. Aucune ethnie ne se développera au KIVU sur le dos ou contre les intérêts majeurs des autres.

 

17. Nous voudrions enfin relever, en ce qui concerne les Tutsi zaïrois et les BANYAMULENGE, qu'un certain cynisme est pratiqué contre eux. Tout le monde sait que des éléments armés des anciennes FAR et de l'ex-milice rwandaise "Interahamwe" se meuvent au KIVU comme poissons dans l'eau, au nez et à la barbe de autorités zaïroises locales, civiles et militaires, impuissantes ou complices. Tout le monde sait qu'ils ne supportent pas la vue d'un Tutsi et qu'ils en ont déjà égorgé un certain nombre.

 

Le cas le plus récent connu est celui d'un notable tutsi massacré début mai 1995, du côté de Rumangabo (groupement Gisigari). Il s'appelait NYANGEZI et est bien connu du Mwami NDEZE René, car beau-frère de son père Daniel. Tout le monde sait aussi que le cheptel bovin du Nord-KIVU, essentiellement aux mains des Tutsi, est en cours d'extermination à la fois par les réfugiés extrémistes Hutu et par des éléments de nos propres forces armées zaïroises. Malgré tout cela, on se scandalise que les Tutsi cherchent à trouver la sécurité physique au Rwanda, alors que d'autres Zaïrois vont y chercher la sécurité économique et professionnelle. Les membres de nos communautés devraient-ils donc être les seuls à être dépourvus de l'instinct de survie ? N'auraient-ils pas le droit élémentaire de se mettre à l'abri de meurtriers ?

 

Nous vous demandons, Monsieur le Président de la République, de bien vouloir noter que nos frères de l'intérieur du pays n'ont pas eu la sécurité qu'ils étaient en droit d'attendre de leur propre gouvernement. C'est pourquoi nous vous demandons d'user de vos prérogatives constitutionnelles auprès du gouvernement afin qu'il se donne la peine de s'enquérir du sort de nos compatriotes réfugiés dans les Etats voisins.

 

Ce serait trop facile d'arguer qu'il s'agit de Rwandais rentrés chez eux, quand on n'a pas été en mesure de les protéger contre les génocideurs ayant fait irruption chez nous. Ils se sont débrouillés pour ne pas périr massacrés en masse, à l'instar de leurs "cousins" rwandais.

 

Le moment venu, il faudra bien qu'ils retrouvent leurs terres. Il ne sera donc pas question de les en empêcher, en prétendant que ce sont des étrangers.

 

Dès que les conditions de sécurité le permettront, nous nous emploierons à dresser une liste des réfugiés zaïrois au Rwanda et en Ouganda et nous la ferons tenir au gouvernement pour valoir et servir ce que de droit.

 

Pour toutes les raisons exposées dans la présente, nous souhaiterions, Excellence Monsieur le Président de la République, être reçus en audience par vous-même et nous vous saurions gré de bien vouloir donner les instructions nécessaires à ce sujet.

 

La réponse à cette requête pourrait nous parvenir par le canal de notre aîné, l'honorable RWAKABUBA Shinga, conseiller de la République.

 

Nous vous prions d'agréer, Excellence Monsieur le Président de la République, l'expression respectueuse de notre très haute considération.

 

Kinshasa, le 10 juillet 1995

 

Signataires de la lettre de récusation du Rapport VANGU :

 

1. RWAKABUBA Shinga

2. NGIRA-BATWARE

3. SEMADWINGA B. Ntare

4. NZITATIRA Mbemba

5. BISAMAZA Jean-Baptiste

6. RUDASENGULIA Nsamira

7. NTEZILYAYO Jean

8. RUASANA Mukere

9. MUNYAMAKUBA Mugisha

10. SEBANANIRA MIRINDI Alphonse

11. RWIYEREKA Mudahemuka

12. Q. MUSHONDA

13. MWINGIRA Gatungo

14. RUGWIZA MAGERA Déo

15. NGENDAHIMANA Alexandre

16. SEBIKIRI Wa Ngoho

17. RWAMITARI Mirindi

18. RUHARULIZA Fuku

19. RWAKABUBA Ndazi-Garuye

20. MUNYARENGEMERO Muheto

21. RUTIKANGA Ndizihiwe

22. RUCHOGOZA Nkuriza

23. Jeff BARINDA

24. SERUSHAGO Kavunja Bony

25. RUKABUZA NZEYIMANA Raymond

26. MBONIMPA BANGANIZI Benoît

27. GASHINGE Mutamu

28. SENTOHIE KABOYI Anatole

29. RUKOMERA Désiré

30. GATUTSI Sebazungu

31. MUNYARUHENDO Safari

32. MUTAMBO Jondwe

33. MUNYAKAZI Mbambera

34. RUMENERA Ndabangariye

35. BIZIMANA Rukema

36. RURENZA Dan

37. BITONGO Nzabin

38. MUTABAZI Muyimanyi

39. MURINGE Mazindoka

40. MUGEMA Sempuga

 

Copie au Secrétaire Général de l'ONU à New York.