REACTIONS AU MANIFESTE DES BAHUTU
A ces revendications, les «12 bagaragu
b’ibwami bakuru» répondirent en présentant deux documents. Le libellé du
document du 17 mai 1958 se présente comme suit:
Voici le détail historique du règne des Banyiginya au
Rwanda.
L’ancêtre des Banyiginya est Kigwa, arrivé à Rwanda (rwa Gasabo-localité)
avec son frère nommé Mututsi et leur soeur Nyampundu. Ils avaient avec eux leur
gros et petit bétail ainsi que de la volaille, chaque fois en paires
sélectionnées de mâle et femelle. Leur mutwa Mihwabiro les suivait de très
près. Leurs armes étaient les arcs doublés (ibihekane); leurs occupations
étaient la chasse et la forge. Le pays était occupé par des Bazigaba qui
avaient pour roi le nommé Kabeja. Les sujets de Kabeja vinrent d’abord en
petite délégation ensuite beaucoup plus nombreux, et ceux-ci de par eux-mêmes, voir
la famille Banyiginya et s’entretenir avec elle. Celle-ci leur a donné, d’abord
gratuitement ensuite moyennant services, des charges de viandes, fruit de leur
chasse. Dans le royaume Kabeja on ne savait pas forger: aussi, tous les
ressortissants de ce pays sont venus prester les services auprès de la famille
Kigwa pour avoir des serpettes et des houes. Les relations entre les sujets de
Kabeja et la famille Kigwa furent tellement fortes que ces derniers
abandonnèrent leur premier maître et se firent serviteurs de Kigwa. L’affaire
en étant ainsi jusqu’alors, l’on peut se demander comment les Bahutu réclament
maintenant leurs droits au partage du patrimoine commun. Ceux qui réclament le
partage du patrimoine commun sont ceux qui ont entre eux des liens de fraternité.
Or les relations entre nous (Batutsi) et eux (Bahutu) ont été de tous temps
jusqu’à présent basées sur le servage; il n’y a donc entre eux et nous aucun
fondement de fraternité. En effet quelles relations existent entre Batutsi,
Bahutu et Batwa? Les Bahutu prétendent que Batutsi, Bahutu et Batwa sont fils
de KANYARWANDA, leur père commun. Peuvent-ils dire avec qui Kanyarwanda les a
engendrés, quels est le nom de leur mère et de quelle famille elle est? Les
Bahutu prétendent que Kanyarwanda est père de Batutsi, Bahutu et Batwa; or nous
savons que Kigwa est de loin antérieur à Kanyarwanda et que conséquemment
Kanyarwanda est de loin postérieur à l’existence des trois races Bahutu,
Batutsi et Batwa, qu’il a trouvées bien constituées. Comment dès lors Kanyarwanda
peut-il être père de ceux qu’il a trouvés existants? Est-il possible d’enfanter
avant d’exister? Les Bahutu ont prétendu que Kanyarwanda est notre père commun,
le Ralliant de toutes les familles Batutsi, Bahutu et Batwa: or Kanyarwanda est
fils de Gihanga, de Kazi, de Merano, de Randa, de Kobo, de Gisa, de Kijuru, de
Kimanuka, de Kigwa. Ce Kigwa a trouvé les Bahutu dans le Rwanda. Constatez
donc, s’il vous plaît, de quelle façon nous, Batutsi, pouvons être frères des
Bahutu au sein de Kanyarwanda, notre grand-père. L’histoire dit que Ruganzu a
tué beaucoup de ‹Bahinza› (roitelets). Lui et les autres de nos rois ont tué
des Bahinza et ont ainsi conquis les pays des Bahutu dont ces Bahinza étaient
rois. On en trouve tout le détail dans ‹l’Inganji Kalinga›. Puisque donc nos
rois ont conquis les pays des Bahutu en tuant leurs roitelets et ont ainsi
asservi les Bahutu, comment maintenant ceux-ci peuvent-ils prétendre être nos
frères?
Nous, grands Bagaragu de l’Ibwami.» [Fidèle Nkundabagenzi, op. cit, pp.
35-36.]
Signé :
KAYIJUKA
SERUKAMBA
RUKEMAMPUNZI
MAZINA
RWESA
SEBAGANJI
RUZAGIRIZA
NDAMAGE
SEZIBERA
SEKABWA
NKERAMIHETO
SHAMUKIGA
Le deuxième document adressé au roi Mutara Rudahigwa
et aux membres du Conseil Supérieur du Pays du Rwanda et signé 18 mai 1958 fut
rédigé comme suit:
«Au Mwami, Ch. L. P. Mutara Rudahigwa, et A Messieurs les Membres du
Conseil Supérieur du Pays du Rwanda, Voici ce que nous Banyarwanda nous vous
disons:
Nous vous exposons nos doléances à propos des ibikingi et des amasambu, propriétés
exclusives de leurs possesseurs comme le Rwanda est la propriété exclusive du
Mwami. Nous vous disons que comme le Rwanda ne peut être vendu, ainsi nous nous
opposons, au nom de tous les possesseurs des amasambu et des ibikingi, à la
vente de ceux-ci. Voici la raison de ce refus:
1° C’est une coutume de tous les temps, depuis le premier homme, que celui
qui reçoit une chose en servage peut se voir enlever la dite chose s’il commet
quelque faute. Quelle faute avons-nous commise pour nous voir spoliés nos
amasambu et nos ibikingi?
2° Pour quelle raison veut-on procéder au partage de nos ibikingi et de nos
amasambu, alors qu’au Rwanda il y a de bons endroits inhabités dont peuvent
très bien profiter tous les Banyarwanda pour y installer leurs cultures et
faire paître leurs troupeaux? Il y a beaucoup d’endroits inhabités: 1)Bugesera;
2)Rukaryi; 3)Icyanya; 4)Bugiliri; 5)Mubari; 6)Umutara; 7)Kinyamahinda;
8)Umugamba; 9)Rweya. Tous ces endroits sont inexploités au détriment des hommes
et du bétail alors qu’anciennement, ils étaient habités et qu’on y faisait
paître du bétail (...).
Précédemment vous avez envoyé des gens au Gishari-Mukoto pour qu’on ne soit
pas trop à l’étroit dans le pays. Pour quelle raison est-ce qu’actuellement
vous voulez faire le partage des ibikingi et des amasambu entre les Banyarwanda
alors qu’il existe des endroits inhabités, endroits sous votre dépendance? Déjà
les amasambu et les ibikingi sont insuffisants à cause du grand nombre
d’habitants et de bétail: si maintenant vous voulez en faire le partage entre
tous les habitants, il y aura des révoltes dans tous le pays et vous allez
faire mourir et ceux qui en ont et ceux qui n’en ont pas, de sorte que ceux qui
en auront les possibilités seront forcément obligés d’émigrer vers les pays
britanniques. Voici un exemple de la bonne valeur de ces contrées désertes:
lors des tournées jubilaires du Mwami, à Gahini, dans les différentes
présentations, se trouvait une vache très remarquable issue de ces régions. Le
Mwami l’a bien vue de même que les chefs Karisa et Segikwiye et tout le public
présent. Nous sommes entourés d’autres pays: Urundi, Congo Belge, Uganda,
Ankore, Toro. Tous ces pays jouissent d’une paix et d’une tranquillité
parfaites. Toutes leurs coutumes ancestrales n’ont subi aucun changement, nous
ne parlons évidemment pas des mauvaises coutumes du paganisme. Est-ce qu’il n’y
a de Gouvernement qu’ici? Nos civilisateurs-éducateurs ne sont pas comme ceux
d’ailleurs? Messieurs les Membres du Conseil Supérieur du Pays, vous êtes les responsables
du Pays: c’est pour cela que vous avez été élus. Nous vous demandons de
rechercher les personnes qui, continuellement, provoquent tant de troubles
révolutionnaires dans le pays. Nous vous prions de nous les trouver. Nous
désirons que la paix et la tranquillité règnent ici comme elles règnent dans
les pays qui nous entourent.
Nous les Banyarwanda présents à Nyanza, (sé) par
15 vieux Batutsi, Grands bagaragu de l’Ibwami.» [Fidèle Nkundabagenzi, op. cit,
pp 36-37.]