Annulation de la visite officielle de la Ministre rwandaise des Affaires étrangères et de la Coopération en Belgique. Et après ?

 

Selon une dépêche de Panapress publiée le 08/05/2008 et citant des sources officielles à Bruxelles, « La visite de travail que la nouvelle ministre rwandaise des Affaires étrangères, Mme Rosemary Museminali, devait effectuer en Belgique a été annulée ».

En effet, selon un communiqué du gouvernement belge remis à la presse, la visite a été annulée « à l'initiative de la partie rwandaise », sans fournir d'autres détails.

 

Toujours selon Panapress, « Venant de Londres où elle a effectué une visite de travail, Mme Museminali était attendue mercredi à Bruxelles pour un séjour de trois jours ».

Selon le programme établi par le protocole d'Etat belge, la Ministre rwandaise devait avoir des entretiens avec le chef de la diplomatie belge, Karel de Gucht, ainsi qu'avec d'autres membres du gouvernement belge.

 

Une « source diplomatique rwandaise » aurait confié à Panapress que la visite a été annulée « in extremis », « Bruxelles ayant refusé d'accorder un visa à l'un des membres de la délégation rwandaise ».

La même dépêche indique que « Toutefois, la presse belge rapporte que Kigali a décidé d'annuler la visite suite aux déclarations que de la ministre belge des Affaires étrangères, Karel de Gucht, avait faites aux journalistes dans l'avion le ramenant à Bruxelles après sa récente visite en République démocratique du Congo et au Burundi ».

 

La dépêche précise enfin que « Dans ces déclarations, le chef de la diplomatie belge avait regretté que le Rwanda ne joue pas un rôle plus positif dans le règlement des conflits dans la région des Grands Lacs, appelant le gouvernement de Kigali à entamer un dialogue avec les rebelles des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), qui opèrent à partir de la RD Congo ».

 

 

Quand De Gucht tente de « contredire » De Gucht !

 

Dans un communiqué daté du 9 mai 2008, le Chef de la diplomatie belge semble nuancer quelque peu ses propos.

Se référant à un communiqué des FDLR affirmant « accueillir favorablement la récente déclaration du Ministre De Gucht appelant Kigali  à s'engager dans des pourparlers directs avec les FDLR », le Ministre belge dément avoir jamais tenu de tels propos et précise que la position de la Belgique à l'égard des FDLR est inchangée.

 

Le communiqué ministériel rappelle, à cet égard, que « comme membre du Conseil de Sécurité, la Belgique a œuvré activement  à l'adoption d'une résolution qui vise à sanctionner spécialement ce groupe » et que « La Belgique travaille également à l'élaboration d'une liste de sanctions et à des mesures européennes visant à mettre fin aux activités de ce groupe en Europe, en particulier en ce qui concerne son financement ».

 

Ce Communiqué reconnaît néanmoins qu’à l'occasion de sa visite dans l'Est de la RDC, « le Ministre De Gucht a effectivement plaidé pour la mise en oeuvre rapide du Communiqué de Nairobi et donc pour que les groupes armés rwandais abandonnent les armes et retournent dans leur pays. Dans ce cadre, il a lancé un appel aux autorités rwandaises pour qu'elles fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour permettre leur retour au pays et leur réinsertion dans la société rwandaise ».  Selon le Ministre De Gucht, « Ceux qui ont été impliqués dans le génocide au Rwanda ou dans des crimes de guerre en RDC - dont les violences sexuelles – doivent être jugés. Les autres doivent pouvoir retrouver leur place dans la société rwandaise ».

 

Il y aurait lieu de se demander ce qui se cache dans cette formulation diplomatique très laborieuse : « Ceux qui ont été impliqués dans le génocide au Rwanda ou dans des crimes de guerre en RDC - dont les violences sexuelles – doivent être jugés. Les autres doivent pouvoir retrouver leur place dans la société rwandaise ». S’agit-il ici uniquement des rebelles des FDLR ou  bien des soldats du FPR sont-ils également concernés ?  Il faudra apparemment un communiqué supplémentaire…

 

Par ailleurs, y aurait-il encore moyen de distinguer « la société rwandaise » du FPR lui-même dans la mesure où celui-ci est devenu de facto un parti Etat comme au bon vieux temps du parti unique ?

Qui se souvient encore de cet hommage rendu aux dirigeants rwandais par le Ministre Karel De Gucht ? C’était en octobre 2004 à Kigali : «Ici il y a au moins un Etat. Au Rwanda, on s'efforce de gérer de manière correcte», avait alors estimé M. De Gucht.

Dans de telles circonstances, il n’est pas si étonnant que le sevrage soit rude et puisse même tourner au divorce…

 

Que pourrait-on, en définitive, déduire des déclarations de M. De Gucht à propos d’un dialogue inter rwandais ? « Déclaration scandaleuse » comme l’a fortement dénoncé son homologue rwandaise Mme Museminali ou signe annonciateur de « Pourparlers directs entre le Gouvernement rwandais et les FDLR » selon le Secrétaire exécutif du mouvement rebelle ? Une certaine évolution de la Communauté internationale sur la problématique rwandaise comme nous le pensons au Partenariat- Intwari ou « Rien à négocier avec les FDLR » selon Servilien Manzi Sebasoni ?

 

J'ai plutôt l'impression que ce qui gêne Kigali serait moins un « dialogue » déjà en cours avec des FDLR que la perspective fort improbable de pourparlers directs avec ce mouvement telle qu’évoquée dans son récent communiqué. C’est dans ce cadre qu’il faudrait interpréter la mise au point de Karel De Gucht.

 

 

Mais peut-on, encore plus longtemps, contourner le Dialogue inter rwandais ?

 

La réponse nous viendrait-elle finalement du « sage » Sebasoni qui appelle ceux dont la conscience est « chargée » à rejoindre vite au Rwanda ceux de la conscience « tranquille » afin de poursuivre ensemble le « dialogue national et permanent » ? Mais enfin, le DNP et le DIR seraient-ils nécessairement incompatibles ?

 

Dans une excellente analyse publiée par le journal « Hémisphères » dans son n° 23 paru le 31 janvier 2004, Bernard Leloup se demandait déjà à propos du Rwanda : « Quelle attitude faut-il dès lors adopter face à la dictature rwandaise? Le mot d’ordre doit d’abord être celui d’un rétablissement immédiat des droits d’association et d’expression, tandis que la libération de tous les prisonniers politiques ne doit souffrir aucun délai. Ensuite, il n’est plus possible de maintenir l’opposition extérieure en marge du processus. Elle doit être soutenue de façon urgente, par tous les moyens, avant que les tenants d’une solution militaire ne prennent le dessus ».

 

Prudent, Bernard Leloup qui relevait que l’opposition rwandaise en exil «fourmille d'hommes et de femmes responsables prêts à se rendre au Rwanda pour engager le débat» aura tenu à préciser qu’il fallait « exclure bien évidemment ceux dont l’idéologie raciste a conduit en 1994 au génocide des Tutsis ».

Selon M. Leloup, « L’Union européenne, si elle en a la volonté, possède l’autorité pour imposer la voie d’une ouverture politique au Rwanda. La Belgique, et d’autres Etats membres, peuvent influer en ce sens et donner à l’opposition démocratique le poids qu’elle mérite ».

Il ajoutait enfin qu’ « il faut sans cesse rappeler au général major Kagame que ceux qui, au sein de son régime, se sont rendus coupables de crimes, devront tôt ou tard répondre de leurs agissements devant la justice ».

 

Karel De Gucht ne semble donc point isolé dans ses tentatives d’aller au-delà du « dialogue national et permanent » si cher à Sebasoni.

A l’intention de ceux qui l’accablent de manquer de tact, il convient de rappeler qu’il s’en était déjà expliqué en 2004 après avoir fait «scandale » à propos de la classe politique congolaise jugée "irresponsable" . Dans son calme habituel, il déclarait : « En politique, il faut être diplomate mais il est également important qu’un homme politique dise ce qu’il pense. La diplomatie ne suffira pas pour faire avancer les affaires au Congo». 

 

En visite à Goma en juin 2007, l’Envoyé spécial du Ministre belge des Affaires étrangères, M. Jozef Smets, avait déjà conclu à l’inutilité d’une solution militaire aux problèmes des groupes armés congolais et étrangers : « Nous ne croyons pas en une solution militaire ou armée. Si je dis ’nous’, je peux parler pour mon pays, mais je crois aussi pour beaucoup des membres de la communauté internationale ». Et le diplomate belge de poursuivre : «Maintenant, nous souhaitons que tout le monde se place dans une perspective positive et qu’on ose envisager des solutions politiques innovatrices, qu’on ne reste pas avec un langage de violence».

Son patron Karel De Gucht aurait-il avancé le contraire en estimant que le Rwanda doit reprendre une grande partie des FDLR qui, selon lui, sont ses citoyens ?

 

Kigali fait semblant d’ignorer que, sur les conflits ravageant l’Afrique des Grands Lacs, Bruxelles reste largement sur la ligne définie par l’Union Européenne.

S’agissant particulièrement de la question des FDLR à propos de laquelle Kigali a toujours préconisé une solution militaire, la Communauté internationale a fini par se rendre à l’évidence, reconnaissant de plus en plus qu’il s’agit d’un problème global de nature fondamentalement politique et que la solution durable ne saurait qu’être d’ordre politique.

C’est ce qu’avait laissé entendre M. Roland Van de Geer, Représentant spécial de l’Union européenne (UE) pour les Grands Lacs qui, à l’issue d’un entretien le 11 avril 04 avec le Président de l’Assemblée nationale de la RDC, M. Vital Kamerhe : « La République démocratique du Congo a reçu l’assurance de la communauté internationale pour la mise en oeuvre des accords de Goma et de Naïrobi ».  M. Roland Van de Geer a néanmoins reconnu qu’il y avait « encore beaucoup de défis à relever » et souligné que « Kinshasa, Kigali et la communauté internationale doivent concentrer les efforts pour convaincre les éléments des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) de rentrer chez eux ».

Il a tenu à préciser que « Cela doit se faire dans la paix » et à expliquer le rôle de chaque acteur en ces termes : «Kinshasa prend la responsabilité de convoquer les pourparlers, Kigali prend la responsabilité de recevoir les FDLR et la communauté internationale doit accompagner ce processus».

 

 

Dialogue de sourds au pays des mille collines

 

La main sur le cœur, Kigali jure qu’il veut accueillir sans conditions tous ses "rebelles » alors que pour les rebelles, il ne saurait être question de démobiliser avant l’ouverture d’un dialogue inter rwandais.

« Il y a un refus catégorique du régime rwandais d'avoir ce dialogue inter rwandais », observe le Chef de la diplomatie belge. Ce dont se félicite évidemment Sebasoni qui croit dur comme fer que Kigali se trouve ainsi en position de force.

Si l’on devait en croire ses propagandistes, l’Etat FPR serait sur le point de réaliser un exploit : celui de réintégrer les milliers de combattants rebelles sans avoir à leur parler. Entre temps, et sans doute pour mieux les inciter à rentrer au bercail, près de 7000 d’entre eux figurent sur une liste de « génocidaires » élaborée par les soins de Kigali et transmise au Gouvernement de la RDC et au Conseil de Sécurité de l’ONU.

Décidément, on aura tout entendu !

 

 

Mandats d’arrêt internationaux vs Souveraineté nationale

 

Bien longtemps avant l’apparition de ces mandats de la discorde, la Belgique a dû apprendre qu’on ne joue pas à Kigali avec la « souveraineté nationale ».

Le Commissaire Européen Louis Michel, à l’époque Ministre des Affaires étrangères, l’avait appris à ses dépens lorsque, en visite à Kigali en septembre 2002, il avait eu la témérité de déclarer : « La situation exceptionnelle de ce pays, suite au génocide de 1994, ne peut se traduire éternellement par un manque de démocratie ».

 

La réplique de Kagame s’était voulue à la hauteur de l’enjeu. L’un de ses porte-parole, Joseph Bideri, avait déclaré à l’AFP : « Le Rwanda  n'a rien à apprendre du ministre belge des Affaires étrangères Louis Michel et de la Belgique en matière de démocratie, en particulier quand on voit où la démocratie à la belge a mené le peuple rwandais ».

Il avait ajouté  : « La démocratie est en marche au Rwanda, heureusement sans la contribution de la Belgique » et précisé : « Louis Michel sait très bien que la Belgique n'a plus aucun droit pour superviser le Rwanda, il n'a pas à parler pour le Rwanda, cette époque est révolue depuis longtemps ». M. Bideri avait conclu ses propos en estimant que si M. Michel cherche des colonies, le Rwanda devrait être le dernier de ses centres d'intérêt.

 

Depuis, Louis Michel s’est calmé. Il a même multiplié des gages d’amitié surtout depuis l’élection «démocratique, libre et transparente » en 2003 de Paul Kagame avec près de 100% de suffrages exprimés.

Louis Michel a-t-il enterré sa déclaration offensante ? Son successeur Karel De Gucht, après avoir lui aussi vanté les qualités de nos dirigeants, vient peut-être de déterrer la vérité de l’oncle Michel qui avait eu raison avant l’heure : « La situation exceptionnelle de ce pays, suite au génocide de 1994, ne peut se traduire éternellement par un manque de démocratie ».  

 

Mais la priorité de Kigali demeure sans aucun doute ces mandats européens qui frappent des citoyens rwandais parmi lesquels de très hauts responsables politico militaires proches du Général Kagame. Après le coup réussi de Berlin où Mme Rose Kabuye a fait partie de sa délégation sans être inquiétée par la justice allemande, Kagame avait hâte, par l’étape de Bruxelles, capitale de l’Europe, de prouver le caractère « inoffensif » de ces mandats.

 

L’incident lié à la visite de Mme Museminali s’expliquerait donc par le contexte politique tendu qui entoure ces mandats dont Kigali tente désespérément d’obtenir l’annulation.

 

A cet égard, François Soudan a réalisé, début avril, une interview de Kagame d’où ressort toute sa détermination à faire échouer les mandats délivrés par la justice française.

 

Kagame y explique notamment pourquoi les relations diplomatiques avec la France ne sont toujours pas rétablies : « Sans doute parce que le problème, je dirais le mal, est profond. Et qu’il faudra du temps pour le résoudre. Pour autant, les signes que vous venez de relever sont encourageants et indiquent que l’on progresse sur la voie de la normalisation. Nous les accueillons avec un esprit positif. Nous voulons avancer vite et je crois qu’avec l’administration Sarkozy, le Rwanda a enfin trouvé un interlocuteur ouvert ».

 

Prié de dire ce qu’il attend exactement de la France, Kagame répond : « Notre Histoire récente est une Histoire tragique. Et dans cette tragédie, les facteurs externes, notamment le rôle de l’Etat français, ont eu une part déterminante. Il est donc totalement inacceptable à nos yeux que la Justice d’un pays comme la France, qui porte une responsabilité dans le génocide de 1994, se soit arrogée le droit d’inculper des leaders de ce pays. Le Rwanda n’est pas sous juridiction française. Imaginer cela, c’est faire preuve d’arrogance et d’ignorance. Ce que nous attendons de la France est donc clair : qu’elle respecte notre souveraineté et qu’elle reconnaisse la responsabilité de certains de ses dirigeants de l’époque dans la tragédie rwandaise ».

 

Quand le journaliste lui fait remarquer que la Justice française est indépendante du pouvoir politique, Kagame réplique sèchement : « C’est ce que disent ces juges. Nous estimons, nous, qu’il s’agit là du système judiciaire de la France ».

 

Alors que François Soudan demande à son interlocuteur comment, selon lui, le gouvernement français pourrait intervenir afin de faire cesser les poursuites sans être aussitôt accusé de faire pression sur la Justice, Kagame en profite pour enfoncer le clou : « Je suis parfaitement conscient de ce problème. Mais qu’y puis-je ? C’est l’affaire de la France. Cela dit, je reconnais au président Sarkozy et au ministre Kouchner le courage politique d’avoir fait bouger les lignes. Nous faisons tout notre possible pour les accompagner dans cette voie et nous sommes prêts, à tout moment, à discuter. Mais il faut que le cadre de cette négociation soit global : pas question de séparer le diplomatique du judiciaire ».

 

L’Espagne et le Canada sont en tout cas prévenus. Le Rwanda de Kagame vendra très cher sa «souveraineté ».

A moins qu’un jour, s’étant levé du bon pied, Kagame ne décide « en toute souveraineté » de livrer lui-même ses concitoyens recherchés. Ne l’avait-il pas fait en 2003 et au mépris de l’article 25 de la Constitution qui stipule qu’aucun Rwandais ne peut être extradé ?

Mais il est vrai que la démocratie version FPR génère des citoyens à la « conscience chargée » et ceux dont la conscience reste malgré tout « tranquille ». Ce n’est pas le fameux « dialogue national et permanent » de Sebasoni qui pourrait y changer quoi que ce soit.

 

Au Partenariat- Intwari, nous restons fermement persuadés qu’il n’y aurait aucun scandale à dialoguer. Nous continuerons inlassablement à nous battre en vue d’imposer un Dialogue national et hautement inclusif dans notre pays.  

 

Car nous sommes entièrement d’accord avec Louis Michel version originale pour réaffirmer sans concession que « La situation exceptionnelle du Rwanda suite au génocide de 1994, ne peut se traduire éternellement par un manque de démocratie ». 

 

 

Fait à Bruxelles, le 10 mai 2008

Déogratias Mushayidi

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