Rapport 2008 d'Amnesty international sur le Rwanda
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mercredi, 28 mai 2008 / Brian May / Secrétaire de rédaction |
L’année a été marquée par l’abolition de la peine de mort au Rwanda. Des
restrictions continuaient de peser sur la liberté d’expression, d’association
et de mouvement. Les services de sécurité ont commis diverses violations des
droits humains, notamment par un usage excessif de la force et des actes de
torture. Les normes en matière d’équité des procès n’étaient toujours pas
respectées, notamment dans les tribunaux gacaca. Ces
juridictions ont été autorisées à poursuivre les procédures engagées contre les
personnes accusées de génocide. Les relations demeuraient tendues entre les
principaux groupes ethniques du pays mais aussi à l’intérieur de ces groupes.
Recours
excessif à la force, torture et autres mauvais traitements.
Les services de sécurité, en particulier la police et les Forces de défense
locales (FDL), auraient fait un usage excessif et illégal de la force lors de
l’arrestation de suspects. Les FDL sont une milice civile armée qui coopère
avec la police nationale.
Selon certaines
informations reçues en mai, François Rukeba a été
torturé à son retour au Rwanda, après avoir été extradé par l’Ouganda. Les
forces de sécurité rwandaises l’auraient passé à tabac au cours des premiers
jours de sa détention.
D’après d’autres informations recueillies au mois de novembre, le gouvernement
devait soumettre au Parlement, à courte échéance, la question de la
ratification de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Liberté
d’expression
Liberté de la presse.
Selon l’organisation Freedom House, basée aux
États-Unis, sur un total de 195 pays, le Rwanda arrivait en 181e position quant au respect de la liberté de la presse pour l’année 2007.
Des journalistes, en particulier ceux des médias privés, continuaient de subir
des menaces et des agressions, ainsi que des manœuvres d’intimidation et de
harcèlement. Les autorités ne protégeaient ni ne faisaient respecter les droits
de ces journalistes.
Le 9 février, à Kigali, la capitale du pays, trois hommes
non identifiés ont frappé à coups de barre de fer Jean Bosco Gasasira, le directeur de publication du journal Umuvigizi. La victime a été transportée d’urgence à
l’hôpital, où elle est restée plusieurs jours en unité de soins intensifs. Jean
Bosco Gasasira avait publié dans Umuvigizi
plusieurs articles critiques à l’égard du Front patriotique rwandais (FPR), le
parti au pouvoir. L’un de ces articles indiquait que le népotisme régnait au
sein du FPR.
Le 9
février également, la station de radio contrôlée par l’État, Radio Rwanda,
aurait diffusé des commentaires menaçants de son directeur et du président du
Haut Conseil de la presse contre le bimensuel indépendant Umuco.
Accusant ce journal d’entretenir un climat de haine interethnique, ils le
comparaient à Kangura, un périodique aujourd’hui
disparu qui avait publié des articles haineux contre les Tutsis, avant et
pendant le génocide de 1994.
À la suite de cette diffusion, Bonaventure Bizumureymi,
le directeur de Umuco, a reçu des menaces
téléphoniques.
Certains considéraient toujours la presse avec crainte compte tenu de son
implication dans le génocide de 1994. Afin de réduire au silence les
journalistes qui le critiquaient, le gouvernement continuait de les accuser
d’incitation à la haine interethnique.
En septembre, au cours d’une émission diffusée par
Radio Rwanda et par la Télévision rwandaise (TVR), quatre ministres du
gouvernement, dont celui de l’Intérieur et celui de la Communication, ainsi que
deux membres des forces de sécurité, ont menacé de représailles des
journalistes indépendants s’ils poursuivaient leurs critiques contre les
autorités. Le ministre de l’Intérieur aurait déclaré que la police devait
arrêter tout journaliste divulguant un document officiel, et que ce dernier
devrait rester en détention jusqu’à ce qu’il révèle ses sources. Ces
journalistes étaient en outre désignés comme des « ennemis » de la
nation. Les journalistes du périodique Umuseso ont
été particulièrement pris pour cible.
Le gouvernement recourrait de plus en plus fréquemment au Code pénal et aux
sanctions pénales pour étouffer la liberté d’expression. Deux projets de loi,
l’un concernant la Loi relative à la presse et l’autre le Code pénal, étaient
en cours d’examen devant le Parlement à la fin de l’année. Les deux textes
comportaient des dispositions restreignant la liberté d’expression.
Défenseurs
des droits humains.
Les autorités
surveillaient étroitement l’action des défenseurs des droits humains.
En février, Idesbald Byabuze
Katabaruka, professeur de droit
de nationalité congolaise, a été arrêté et inculpé d’« atteinte à la
sûreté de l’État » et de « discrimination et sectarisme ». Il
s’était rendu à Kigali afin de dispenser un cours de droit à l’université. Ces
accusations étaient liées à plusieurs publications qui avaient semble-t-il été
écrites ou cosignées par Idesbald Byabuze
Katabaruka et parmi lesquelles figurait un article
intitulé « Alerte Rwanda », très critique à l’égard du FPR. Environ un mois plus tard, à la suite de pressions
exercées au niveau international, les charges retenues contre lui ont été
abandonnées et il a été libéré de la prison centrale de Kigali.
.
En juillet, le Rwanda est devenu le premier État de la région des Grands Lacs à
abolir la peine de mort. Auparavant, le maintien de cette peine était l’un des
principaux obstacles bloquant le transfert devant la justice rwandaise des
détenus placés sous la juridiction du Tribunal pénal international pour le Rwanda,
ou des personnes inculpées de participation au génocide et vivant à l’étranger.
Procès devant
les tribunaux gacaca.
Les procès se poursuivaient devant les tribunaux gacaca
(un système de juridictions populaires institué en 2002 afin de juger les personnes
soupçonnées d’avoir participé au génocide de 1994).
En mars, une nouvelle loi relative au système gacaca
a été adoptée, apportant de profondes modifications à la précédente législation
de 2004. Au titre des nouvelles dispositions, la compétence des tribunaux gacaca a été étendue à certaines catégories d’accusés
(notamment celle des « tueurs notoires »), qui relevaient auparavant
de la compétence des juridictions nationales. Les tribunaux gacaca
ont par ailleurs été habilités à prononcer des condamnations à la réclusion à
perpétuité.. De plus, le nombre de juges (Inyangamugayo) requis pour un procès devant un tribunal gacaca a été ramené de neuf à sept, afin d’augmenter le
nombre d’audiences. Bien que le gouvernement ait affirmé son intention de
mettre fin au système gacaca dès que possible, la
secrétaire générale de ces juridictions a annoncé début décembre que les
tribunaux poursuivraient leurs activités en 2008.
Les dispositions de la loi de 2007 ont accéléré le déroulement des procédures gacaca, mais au détriment de l’équité et de la qualité des
jugements. Les informations recueillies faisaient régulièrement état d’un
non-respect des garanties d’équité, ce qui donnait lieu à des erreurs
judiciaires.
En mai,
au terme d’un procès inique devant le tribunal gacaca
de Bilyogo, à Kigali, François-Xavier Byuma, éminent défenseur des droits humains, a été condamné
à une peine de dix-neuf ans de réclusion pour avoir pris part à un entraînement
au maniement des armes à feu lors du génocide de 1994. Le juge qui présidait
l’instance chargée de son procès avait été au cœur d’une enquête menée par
l’Association rwandaise pour la protection et la promotion de l’enfant, une ONG
dont François-Xavier Byuma était le président et qui
avait enquêté sur des allégations selon lesquelles le juge aurait violé une
jeune fille de dix-sept ans. Le conflit d’intérêts concernant ce juge a privé
François-Xavier Byuma du droit à un procès équitable
devant un tribunal indépendant et impartial.
Le manque de qualification et de formation des juges gacaca,
tout comme les pratiques de corruption constatées dans certaines communes,
alimentaient une méfiance généralisée à l’égard de ce système.
En décembre, la Ligue des droits de la Personne dans la région des Grands Lacs
(LDGL) a révélé que sept juges du tribunal gacaca du
secteur de Kibirizi (province du Sud) avaient été
arrêtés en novembre pour falsification de preuves.
Cette année encore, des Rwandais ont tenté d’échapper à la justice gacaca en se réfugiant dans les pays voisins. Certains craignaient
que ces tribunaux ne révèlent au grand jour leur rôle dans le génocide.
D’autres redoutaient d’être victimes d’accusations mensongères.
Des enseignants et certains membres du personnel de
l’université de Butare auraient fui le pays par
crainte d’être accusés à tort d’avoir participé au génocide.
Tout au long de l’année, des sources rwandaises ont indiqué que des juges et
des témoins à charge ou à décharge de procès se déroulant devant des tribunaux gacaca avaient fait l’objet de menaces et que certains
d’entre eux avaient été assassinés.
Détention sans
jugement.
En octobre, au cours d’une session parlementaire, des sénateurs rwandais se
sont dits préoccupés par la question des détentions illégales. Des milliers de
prisonniers étaient en effet maintenus en détention sans jugement depuis de
longues périodes.
Dominique Makeli, ancien journaliste de Radio Rwanda,
était détenu
depuis près de treize ans sans avoir jamais été jugé. Les chefs d’inculpation
retenus contre lui ont été modifiés à maintes reprises. Selon les accusations
les plus récentes émanant des autorités, il avait incité ses auditeurs au
génocide lors d’une émission diffusée sur Radio Rwanda en 1994.
Deux
religieuses catholiques, Bénédicte Mukanyangezi et
Bernadette Mukarusine, ont été jugées au mois de
juillet après plus de douze années passées en détention provisoire. Le tribunal
gacaca devant lequel elles comparaissaient les a
remises en liberté faute de preuves.
Après avoir passé onze années en détention sans avoir été
jugée, Tatiana Mukakibibi, ancienne animatrice et
productrice de Radio Rwanda, a été acquittée, le 6 novembre, des accusations de
génocide qui pesaient sur elle par un tribunal gacaca
du secteur sud de Ruhango.
Conditions de
détention.
Au début de l’année, le gouvernement a annoncé la libération à titre provisoire
de 8 000 détenus. Nombre d’entre eux avaient, selon les informations
recueillies, avoué leur participation au génocide. Ces libérations – la
troisième vague depuis 2003 – visaient à remédier à la surpopulation carcérale.. Malgré cela, les établissements pénitentiaires restaient
surpeuplés. En juillet, la population carcérale s’élevait à 97 000 personnes,
un nombre ramené à 70 000 détenus en septembre en raison d’une instruction
officielle autorisant certains prisonniers à effectuer des travaux d’intérêt
général dans des camps situés en dehors des établissements pénitentiaires.
Les conditions de détention demeuraient extrêmement dures et s’apparentaient à
une forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant.
Prisonniers
politiques.
En avril, Pasteur Bizimungu a quitté l’établissement
pénitentiaire où il était incarcéré afin d’être placé en résidence surveillée.
En 2005, Pasteur Bizimungu et Charles Ntakirutinka avaient été condamnés respectivement à quinze
et dix ans d’emprisonnement pour incitation à la désobéissance civile,
association de malfaiteurs et détournement de fonds publics. Avant leur
arrestation, les deux hommes avaient formé le Parti démocratique du renouveau (PDR-Ubuyanja). De nombreux observateurs des droits humains
considéraient que les poursuites engagées contre eux avaient pour objectif
d’éliminer l’opposition politique.
Charles Ntakiruntinka demeurait quant à lui incarcérer
à la prison centrale de Kigali.
Enquêtes sur le
génocide et les crimes de guerre.
En octobre, la commission chargée d’enquêter sur le rôle présumé de l’armée
française dans le génocide a remis son rapport au chef de l’État, Paul Kagame. Les autorités judiciaires espagnoles ont poursuivi
leur enquête sur l’assassinat de ressortissants espagnols et sur d’autres
crimes commis entre 1990 et 2002 au Rwanda et en République démocratique du
Congo. Les investigations ont porté sur l’implication directe de 69 membres du
FPR qui, pour certains, occupaient de hautes fonctions dans l’armée.
Certains gouvernements étrangers, dont le Royaume-Uni, la France, le Canada et
les Pays-Bas, ont entamé des procédures judiciaires contre des individus
soupçonnés de participation au génocide et qui résidaient, parfois sous une
fausse identité, sur leur territoire.
Tribunal pénal
international pour le Rwanda.
Les procès d’individus
soupçonnés d’avoir joué un rôle majeur dans le génocide se poursuivaient devant
le Tribunal pénal international pour le Rwanda (le Tribunal). Fin 2007, 61
personnes se trouvaient en détention sous cette juridiction. Vingt-huit procès
– dont certains concernaient plusieurs accusés – étaient en cours. Dix-huit
suspects mis en accusation par le Tribunal étaient toujours en fuite.
Depuis sa création en 1996, le Tribunal a prononcé 32 jugements définitifs. Le
Conseil de sécurité des Nations unies a donné mandat au Tribunal d’achever tous
les procès d’ici à la fin 2008. De ce fait, le procureur a proposé de
transférer trois dossiers sous la compétence de juridictions européennes et
cinq autres sous celle des tribunaux rwandais. Depuis sa création, le Tribunal
n’a jugé que des membres ou des sympathisants du gouvernement en place en avril
1994. Il n’a pas entièrement réalisé son mandat, qui consistait à enquêter sur
tous les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis en 1994, y
compris sur ceux imputables au FPR.
Disparitions
forcées
Augustin Cyiza, personnalité influente de la société
civile, et Léonard Hitimana, membre de l’Assemblée
nationale transitoire, auraient été victimes de disparition forcée en 2003.
Depuis lors, les représentants de l’État rwandais ont nié avoir connaissance de
leur sort et n’ont mené aucune enquête rigoureuse sur leur disparition.
Autres
documents d’Amnesty International.